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Vedānta 221 - La purification de l'affectivité - Swâmi Siddheswarânanda

CAUSERIE FAITE A MONTPELLIER

Le 13 mars 1941

par le Swâmi Siddheswarânanda

 

 

 

 

 

 

LA PURIFICATION DE L’AFFECTIVITE 

Dans nos dernières causeries, nous avons du point de vue théologique, expliqué le concept de brahman (c’est-à-dire du Divin) et, du point de vue philosophique, étudié celui de la réalité ou de l’absolu.

En examinant les différentes conceptions du divin, nous avons retenu particulièrement celle des incarnations divines.
Brahman indéterminé, impersonnel assume une forme humaine ; il incarne alors toutes les vertus et apparaît à des époques décisives pour guider l’humanité vers de nouveaux destins. Je tiens à vous expliquer aujourd’hui comment ce dernier aspect peut être utilisé au cours de notre sādhana.

 

La vie spirituelle consiste essentiellement dans l’expérience personnelle du Divin. Vivekânanda a dit à ce sujet que la véritable religion est, avant tout, réalisation. Hamilton a reconnu que : « L’étude a pour fruit l’ignorance : cet aveu marque la fin de la philosophie et le commencement de la religion ».

Il est en effet exact que le Divin ne peut être atteint par l’intellect seul. Où commence donc la véritable religion ?

 Aussi longtemps qu’il ne nous est pas possible de réaliser en nous même un aspect quelconque du Divin, tous nos efforts restent stériles ; essayer d’accéder à cette expérience supra-physique, c’est le problème de la vie spirituelle.

Lorsque nous tentons de résoudre ce problème et d’étudier notre individualité, nous nous trouvons en présence d’un mélange hétéroclite d’intelligence et de matière.

 

La conscience supérieure qui est en nous paraît intimement associée à des formes grossières ou subtiles ; pour que l’expérience spirituelle ait lieu, il faut que nous dégagions cette Conscience de son contenu matériel, en un mot que nous isolions l’Esprit de la matière ; pour communier avec l’Esprit, nous devons donc accepter une discipline appropriée.

 

Dans une causerie précédente, nous avons, d’après la philosophie hindoue, distingué cinq gaines (kośa) qui constituent notre individualité et qui retiennent prisonnière cette Conscience supérieure. Le Rāja Yoga admet qu’il existe en nous des niveaux correspondants de conscience ; nous ne pouvons élever cette Conscience d’un niveau à l’autre, tant qu’elle reste emprisonnée dans une gaine inférieure.

 

La force créatrice de brahman (l’énergie cosmique : śakti) est inscrite en tout organisme physiologique (prānin) et, au point de vue biologique, cette force s’exerce exclusivement sur le plan physique.

La Conscience supérieure qui apparaît chez l’homme et qui dirige notre individualité, est représentée comme un appel qui vient d’en-haut ; il existe une discipline spirituelle qui nous permet de répondre à cet appel et d’élever cette Conscience.

La force spirituelle de la kuṇḍalinī nous en fournit un moyen ; chaque être porte en effet en soi cette même énergie ; la pratique du yoga peut la faire monter d’étage en étage, de la partie la plus basse au centre le plus élevé.

Au fur et à mesure que cette force commence son ascension, la connaissance devient de plus en plus nette et l’horizon spirituel s’élargit.

 Ce procédé a été connu par les musulmans, les soufis, ainsi que par différentes sectes ésotériques du moyen-âge qui en ont tiré parti.

 

Le Rāja-Yoga décrit avec précision une méthode scientifique qui a pour but d’éveiller cette force que nous possédons tous.

Pour l’utiliser à bon escient, il est indispensable que nous nous astreignions à une sévère discipline qui a pour but d’orienter cette énergie psychique. Or cette énergie qui est, à l’origine, associée à notre organisme physiologique, est habituellement absorbée par les besoins physiques de notre être ; à l’état normal, elle demeure liée à la partie inférieure de notre individualité.

Dès que cette force s’éveille, nous pouvons l’élever d’un étage ; alors la partie supérieure de notre individualité s’illumine : notre niveau de conscience s’est haussé d’autant.

Nous trouvons ainsi parmi les poètes et les artistes, des expériences esthétiques qui présentent une élévation du niveau de conscience ; elles sont caractérisées par un oubli complet du corps ; elles provoquent parfois un état supra-physique ; il y a, à ce moment, union temporaire avec la Réalité, car la pensée s’est évanouie dans la félicité de l’expérience spirituelle.

Or ce qui se produit chez les poètes et les artistes, comme le résultat d’une inspiration fortuite, peut, par la méthode Rāja-Yoga, devenir pour nous un état habituel. A ce moment, le lien entre la matière et l’esprit se trouve dénoué ; l’esprit est appréhendé directement ; brahman est réalisé ; il a suffi que le rideau s’écarte pour que la Vérité se révèle.

 

 

La représentation de la Réalité sous une forme grossière provient toujours d’une illusion ; c’est le jeu de l’ignorance universelle : māyā ; on ne peut expliquer cette Ignorance ; elle est sans origine, mais ELLE PEUT PRENDRE FIN.

 

 

 Dès que la force spirituelle atteint un centre élevé, l’apparence matérielle (la manifestation) se dissipe comme un mirage, le voile est tombé, nous devenons UN avec la Réalité. C’est à cette expérience que le yoga nous conduit.

Si nous désirons nous unir à un Dieu, il faut tout d’abord que nous réalisions en nous l’harmonie. Notre vie intérieure doit être en accord parfait avec notre vie extérieure ; essayons donc d’adapter notre impulsion nerveuse à notre Conscience intérieure.

Or, nous constatons qu’à l’état normal, il y a déséquilibre constant entre l’une et l’autre ; c’est que notre intellect est nettement en avance sur notre émotivité ; nous avons développé à un haut degré notre capacité intellectuelle, alors que notre vie affective n’a fait aucun progrès ; elle continue à se dérouler sur un plan bien inférieur.

Tout le problème de la vie est là : l’affectivité et l’intellect doivent marcher de pair et jouer sur le même plan ; c’est alors que l’aspirant peut réunir en un faisceau toutes les énergies qui sont en lui et réaliser enfin le type parfait de l’Homme intégral.

Ce n’est qu’au prix d’une discipline morale austère que cette intégration pourra s’effectuer. Voilà le modèle que nous offre la vie de Śrī Râmakrishna. 

Nous ne pouvons en effet déceler en lui la moindre disparité entre ces deux éléments ; qu’une pensée se présente à lui, elle se traduit irrésistiblement en action ; l’action complète la pensée ; elle n’en est que le prolongement nécessaire ; chez nous, au contraire, la pensée et l’action suscitent à chaque instant des problèmes, des hésitations, des conflits ; entre l’une et l’autre, il y a une faille.

Les grands êtres de réalisation n’éprouvent pas ces divergences ; il n’existe en eux pas de cloisons étanches ; l’idée et l’organisme physique sont en accord et chez eux, la pensée est commencement d’action ; l’action est objectivation de la pensée ; chez nous, l’affectivité ne fonctionne pas au rythme de la pensée. C’est que l’affectivité suscite toujours de nombreuses fausses identifications.

Nous n’avons pas la force morale d’élever cette émotivité jusqu’au plan d’application de notre intellect ; notre individualité, tiraillée vers des buts différents, marque des tendances opposées : elle n’est pas parvenue à l’unité.

En Râmakrishna, le sens moral était devenu un véritable réflexe ; l’action était ainsi la conséquence naturelle de la pensée ; Râmakrishna n’avait d’ailleurs atteint cet état qu’à la suite d’un long entraînement ; pendant de nombreuses années, il s’était astreint à agir en complet accord avec la pensée ; c’est ainsi que la pensée se traduisait obligatoirement en action, comme si une nécessité physiologique l’y avait contraint.

En lisant La Vie de Râmakrishna, vous trouverez de nombreux exemples de cet accord ; s’il avait promis à l’un de ses amis d’aller le voir, il devait au jour et à l’heure fixés, remplir coûte que coûte, sa promesse.

Nous invoquerions en pareil cas des excuses de tout genre pour rompre un tel engagement ; chez lui, pas de compromis possible, pas d’excuse valable ; il n’aurait pu supporter d’avoir manqué à sa parole ; comment aurait-il vécu un jour de plus s’il avait souillé d’un mensonge le corps que la Mère Divine bénissait de sa présence ?

 

Le yogin doit donc organiser sa propre vie sur un plan moral très élevé ; voilà l’obligation qu’il ne peut éluder ; faute de remplir cette condition, comment s’établirait-il fermement dans la conscience divine ; c’est alors qu’il aurait réellement déchéance et chute, car à chaque niveau de conscience, correspond un horizon spirituel différent et par conséquent, une représentation nouvelle de la Réalité.

 

Si la pensée est toujours associée au courant psychique qui est originellement lié à l’organisme physique, nous ne pouvons pas nous dégager du sentiment égocentrique et nous restons à un niveau spirituel inférieur. Que la kuṇḍalinī monte en nous-même, la connaissance se fait jour et l’horizon change : nous avons désormais une représentation toute différente de la réalité.

 

Écartons la distinction des cakra qui est arbitraire et ne correspond pas aux habitudes de pensée occidentales ; nous pouvons simplifier la méthode proposée par le Rāja-Yoga et retenir trois centres supérieurs sur lesquels nous nous concentrons pendant la méditation : le cœur, la gorge et le front, entre les deux sourcils.

 

 

Au commencement, le cœur peut être considéré comme le premier étage à atteindre, l’aspirant doit en méditant fixer son attention dans la région du cœur. À ce moment, il emploiera la suggestion pour faire monter jusque-là le courant psychique et l’y maintenir le plus longtemps possible ; il sera alors en mesure de dissocier cette énergie de la partie inférieure de son organisme ; cette énergie se trouvera désormais libérée pour un usage spirituel ; la purification de l’affectivité commence.

Il s’agit maintenant, c’est la première règle à observer, d’établir en nous le silence intérieur.

 

Or, dès que nous méditons, des pensées de toute nature viennent nous harceler ; elles se succèdent l’une à l’autre avec une très grande rapidité ; nous devons apaiser ce tourbillon intérieur et calmer cette agitation mentale.

S’il est relativement facile de couper tous les liens qui nous attachent au monde extérieur, il n’en est plus de même lorsque nous tentons d’arrêter les mouvements du mécanisme mental ; le subconscient réagit en effet fortement et à tout moment, des pensées inopportunes viennent nous assaillir.

Le mental est, en quelque sorte, la « chambre de débarras » où sont reléguées toutes les tendances toutes les propensions auxquelles nous avons déjà obéi dans le passé ; elles demeurent à l’état latent ; elles attendent l’occasion de se manifester avec la même vigueur ; essayons-nous de nous établir dans le silence, elles s’efforcent de « rentrer en scène » et nous apportent le trouble.

Ce silence est pourtant nécessaire et nous devons le faire régner en nous ; ne le confondez pas toutefois avec l’inertie ; nous verrons plus tard, en examinant ce même problème du point de vue philosophique, que le silence intérieur est un aspect de la Réalité. La Réalité comporte deux aspects : l’aspect cinétique, c’est la manifestation (grossière ou subtile) ; l’aspect potentiel, c’est le non-manifesté.

Or nous sommes entrainés par le flux changeant des apparences et nous n’apercevons jamais le visage du silence. Il faut donc que nous cultivions le silence intérieur, si nous voulons découvrir ce centre statique ; jamais nous n’y parviendrons, tant que l’égo continuera à fonctionner et qu’il se traduira par des résistances.

 Le Rāja-Yoga (qui doit être compris comme l’union avec ce centre statique) nous recommande de réaliser ce vide, de pratiquer ce silence et nous éprouverons des difficultés insurmontables, si nous ne choisissons pas un idéal qui puisse absorber toutes nos pensées vagabondes. C’est pourquoi nous devons procéder à ce premier travail d’épuration : comment pourrions-nous instaurer en nous un idéal supérieur, si nous n’avions pas auparavant établi le silence en notre mental.

Le choix de cet idéal dépend de nos aspirations les plus élevées ; nous pouvons être plus particulièrement attirés par un aspect quelconque : Dieu personnel, Dieu impersonnel, ātman. Toutefois, pour la grande majorité des aspirants, il faut une représentation concrète.

La méditation sur une forme déterminée a fait l’objet de maintes critiques ; ce n’est, malgré tout, pas faire fausse route que de s’engager dans cette voie.

Nos pensées coulent plus facilement vers un même but, lorsque nous prenons une forme comme « support de la méditation ». La meilleure méthode est donc de méditer constamment sur une personnalité spirituelle qui ait réalisé la Conscience suprême. Je conseille, par exemple, aux occidentaux de méditer sur Jésus ou sinon sur un symbole tel que la Croix.

 

 

Une fois le vide réalisé en nous, nous devons prendre une cible afin de concentrer toutes nos pensées sur un seul et même point ; l’idéal choisi nous permet donc de fixer toute notre attention sur un objet unique ; qu’il s’agisse de Jésus, de Bouddha ou de Râmakrishna, cet idéal doit retenir toute notre attention et capter toutes nos énergies intellectuelles et émotives ; le résultat dépendra maintenant de notre application et de notre persévérance.

Le Rāja-Yoga nous propose une cible sans aucune importance, un point quelconque, le bout de notre nez ; c’est un dressage qui a pour but de nous exercer à la concentration ; l’essentiel est de réduire au silence toutes les voix intérieures, celles du désir et des tendances ; il s’agit d’arrêter complètement les vagues de la pensée et de s’absorber en une seule idée qui sert de cible.

Mais l’émotivité conserve encore toute sa puissance. Si nous prenons une cible qui éveille en nous un sentiment d’amour et de vénération, nous pourrons bien plus facilement canaliser et orienter toutes les forces qui sont en nous.

On raconte à ce sujet qu’un homme vint voir Râmakrishna ; on lui avait recommandé de méditer sur la forme de Kṛṣṇa, mais chaque fois qu’il s’y essayait, l’image d’un petit-fils qu’il venait de perdre se présentait à lui. Râmakrishna lui dit : « Mais cela suffit ; méditez sur votre petit-fils ; Kṛṣṇa, lui aussi, est votre petit fils ».

Voilà pourquoi je vous conseille de méditer sur une forme qui exerce un appel direct sur votre émotivité.

 

La pratique de la méditation sera facilitée si vous vous en tenez aux règles suivantes :

  • Trouver un idéal qui convienne à votre nature ; fixez sur lui votre attention.
  • Accorder vos propres vibrations sur celles de votre idéal. Pour la vie spirituelle tout se passe comme en musique : chaque être dégage une vibration particulière ; nous devons rechercher le rythme Idéal et nous régler sur lui.

Les Occidentaux utilisent la prière pour parvenir à cet état ; dans l’Inde nous répétons un mantra, une formule sacrée (AUM par exemple) en l’associant mentalement à une représentation du divin (Kālī, Śiva, etc).

Chaque forme évoque une vibration déterminée ; en répétant le mantra, cette vibration agit lentement sur nous ; nous nous mettons peu à peu à l’unisson.

  • A travers la personnalité que nous avons prise comme modèle, nous devons nous efforcer d’entrevoir l’infini.

Si haute qu’elle puisse être, une personnalité n’est qu’un aspect du Réel ; nous ne devons pas oublier qu’il en existe un autre : l’aspect impersonnel ; tâchons de découvrir ce dernier aspect à travers la personnalité de notre idéal. L’idéal deviendra ainsi pour nous, en quelque sorte, l’ouverture par laquelle nous pourrons contempler la Réalite supra-physique.

 

C’est ainsi que la personnalité de l’idéal devient le centre de notre méditation ; en elle, à travers elle, la Réalité toute entière se révèlera un jour à nous.

 

En résumé :

  • Le choix d’un idéal comme cible de la concentration.
  • La prière ou la répétition d’un mantra ;
  • L’association du concept métaphysique de l’infini à la contemplation de l’idéal,

constituent les trois conditions essentielles d’une méditation bien conduite ; en vous y conformant, vous pourrez constater que la distance qui existe tout d’abord entre l’idéal et vous-même diminuera insensiblement jusqu’au moment où vous connaitrez l’union avec l’idéal ; votre individualité aura alors complètement disparu.

Lorsque le dévot, après l’expérience spirituelle, revient à la vie quotidienne, il considère l’univers tout entier comme l’expression, comme la concrétisation de la volonté divine ; il a atteint le niveau de conscience le plus élevé, il a élargi jusqu’à l’infini son horizon spirituel.

 

Râmakrishna a toujours exigé de ses disciples qu’ils pratiquassent cette dernière méthode. Rejetterait-on cette discipline nous ne pourrions accéder à la vie spirituelle ; certes on peut acquérir une connaissance parfaite des textes, discuter de tout problème philosophique, procéder aux analyses psychologiques les plus subtiles, mais à quoi aboutit tout cet effort ? Il n’intéresse que la partie intellectuelle de notre individualité.

Alors même que nous saurions pratiquer l’investigation intérieure, si nous nous refusons à cultiver notre émotivité pour l’amener, elle aussi, sur un plan supérieur, à quel résultat pratique pourrions-nous prétendre ?

Quelle que soit la personnalité que nous choisissions comme modèle spirituel, nous pouvons constater, en étudiant sa propre vie, qu’en elle, tout était harmonie.

Râmakrishna insiste sur l’importance qu’il y a pour l’aspirant à développer de pair l’analyse intérieure et l’éducation de l’émotivité ; le sentiment se trouve alors épuré de tout attachement personnel ; loin d’être alors un obstacle, il concourt à l’épanouissement de notre véritable personnalité.

 

A différentes époques de mon existence, j’ai vécu auprès de Râmana Maharshi ; ce Sage enseigne une méthode analytique qui ne s’adresse qu’à l’intellect ; jamais il ne parle du divin. Néanmoins, si on examine de près sa manière d’agir soit à l’égard des autres hommes, soit même avec les animaux familiers, on peut discerner en lui une bienveillance qui ne se dément jamais ; en certaines occasion même, par exemple, au cours d’une méditation, il se dégage de lui un rayonnement d’amour universel.

Que l’on récite ou que l’on lise en sa présence un texte sanskrit ou un texte tamoul qui l’émeuve, Râmana Maharshi fait preuve d’une grande sensibilité.

 

Nous pouvons conclure de ce qui précède qu’il n’y a pas d’aboutissement pour la méthode analytique pure ; elle ne pourrait d’ailleurs convenir qu’à quelques êtres tout à fait exceptionnels ; sans un sentiment d’amour, l’analyse, pour la presque totalité des aspirants, ne conduira jamais à l’expérience spirituelle.

 

Chez Vivekânanda qui représente le type du parfait jñānin, chez le Bouddha, ou chez Râmakrishna, nous retrouvons toujours cet élan affectif ; tous ces grands Sages ont manifesté dans leur vie une harmonie parfaite entre l’intelligence et l’émotivité ; à la connaissance intellectuelle, ils ont uni un sentiment d’amour universel ; aucune souffrance ne leur est restée étrangère ; ils ont toujours cherché à soulager les infortunes qu’ils ont rencontrées sur leur route.

 

Si notre civilisation traverse de mauvais jours, n’en pourrait-on pas trouver la cause en ce qu’il existe, la plupart du temps, une adaptation défectueuse entre l’intelligence et l’émotion ; l’éducation que nous recevons a provoqué une excitation anormale du cerveau ; nous n’avons pas su parallèlement cultiver et épurer les sentiments du cœur.

Notre intellect s’est développé outre mesure, alors que notre vie affective est demeurée à l’état sauvage ; on ne nous a pas appris à purifier notre sensibilité.

Harmoniser ces deux éléments de notre individualité, c’est la fonction même du yoga. Au fur et à mesure que cet accord est réalisé, le niveau de conscience s’élève même d’un coup, tous les problèmes de la vie quotidienne sont transformés.

 

Or en Europe, l’éducation ne s’adresse qu’à l’intellect : elle néglige complètement la vie affective ; comment l’homme pourrait-il se débarrasser de ses impuretés ? Comment le niveau spirituel pourrait-il s’élever ? Nous ne sommes à même de réaliser cet équilibre et d’établir cette harmonie que lorsqu’il nous est possible d’exercer une action sur le cœur.

Pour que soit effectuée la réalisation de l’Homme intégral, il est indispensable que la Conscience soit élevée jusqu’au niveau d’où l’on voit la Réalité en chaque être et en chaque chose. C’est ainsi qu’il faut entendre l’omniprésence de brahman.

 

 Voici d’ailleurs ce que dit le Vivekacūḍāmaṇi (versets 315 et 316) :

« Les désirs s’accroissent lorsque nous pensons aux objets sensoriels et lorsque nous accomplissons des actes égoïstes ; les désirs ainsi renforcés font tourner la roue des renaissances. Il existe néanmoins un moyen de détruire ces trois causes : c’est de regarder chaque objet, en toute circonstance, à tout moment et à tout égard, comme brahman et comme brahman seul. Si l’on attise constamment en soi l’ardente aspiration de ne plus faire qu’un avec brahman, ces trois causes peuvent être réduites en cendres »

Le sage vit alors dans une ambiance divine ; quoi qu’il pense, quoi qu’il fasse, où qu’il aille, une présence supra-humaine l’accompagne ; il sent en lui une force morale que rien ne peut tarir ; sa conscience reste fermement établie sur un plan d’où il ne redescendra jamais plus.

Si nous voulons connaître cet état supérieur, nous devons, à chaque moment de notre existence, observer à quel niveau notre conscience reste encore attachée ; tant que nous restons captifs de la peur, de la haine, de la jalousie, de la cupidité, ou de tout autre sentiment de ce genre, nous rencontrons en nous une résistance qui est l’expression vivace de l’ego ; notre existence continue à se développer sur le plan biologique.

 

Pour accéder à une vie plus élevée, l’action de la Conscience supérieure doit intervenir. Que ce soit par le Rāja-Yoga qui nous permet d’éveiller la kuṇḍalinī ou par la pratique de la bhakti, l’essentiel est de sentir constamment autour de soi une présence supérieure.

Si nous choisissions la voie de l’amour, à l’exemple de Frère Laurent, cette présence ne peut être une hallucination ; le Frère Laurent a réellement vécu, pendant de longues années, dans la compagnie de Jésus.

Cette dernière voie nous offre le moyen le plus efficace d’extérioriser notre propre conscience supérieure ; ce n’est donc pas une illusion ; nous donnons ainsi à ce que nous avons en nous de plus élevé la possibilité de s’exprimer.

 

La présence du guru sous une forme appropriée à notre nature (maître, père, ami, frère, etc..) c’est l’idéal le plus haut que l’esprit humain puisse concevoir.

Pourrions-nous sans une représentation concrète, faire naître en nous un sentiment de vénération et sublimer tous nos attachements et toutes les expressions de notre sensibilité ? L’idéal ainsi compris permet d’élever le centre de notre conscience : une présence supra-humaine nous soutiendra désormais à tout moment de notre existence ; en quelque situation que nous nous trouvions, elle sera pour nous une source d’inspiration.

Certaines sectes religieuses hindoues admettent bien que l’évolution de l’individualité puisse se poursuivre après la mort, mais le but généralement poursuivi, est, pour l’Inde, la réalisation dans la vie présente.

Le Vedānta nous propose ainsi l’exemple du jīvan-mukta : de l’homme libre.

 

L’existence de sages qui ont réalisé la Conscience suprême c’est pour nous un bonheur ; c’est aussi une promesse ; ce sont en effet ces sages qui guident l’humanité toute entière dans sa marche en avant.

  

 

Vedānta 221 - Mars 2021


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