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Vedānta 223 - Swâmi Nityabhodânanda avec Swâmi Siddheswarânanda - Le mantra

SWÂMI NITYABODHÂNANDA

LE MANTRA[1]

 

            Je vais consacrer la conférence d’aujourd’hui au sens et à la valeur du mantra. 

            Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas ce terme, je donnerai une brève définition : le mantra est une formule spirituelle qui peut se composer d’une lettre ou d’un mot ou d’une phrase ; le mantra permet à l’aspirant spirituel d’entrer en relation avec la divinité désignée par ce mantra. Ceci est l’aspect personnel, l’aspect religieux ; l’aspect impersonnel, c’est que, par la transmission du mantra du guru au disciple les forces spirituelles latentes du disciple sont réveillées.

 

            Il est important de se souvenir que le mantra comporte deux aspects : l’aspect religieux et l’aspect extra-religieux. Le premier permet à l’aspirant d’entrer en contact avec l’aspect personnel d’une divinité. Le deuxième, c’est que le mantra est, aux Indes, la base de toute la pensée, de toute la spéculation philosophique et métaphysique. La plupart des upaniṣad tirent leur force spirituelle, leurs enseignements, d’un mantra, soit le mot OM soit tout autre phrase chargée d’énergie. Le mantra est donc en même temps à la base de toute vie religieuse et de toute pensée métaphysique.

 

            Aux Indes, on attache une importance ésotérique extrêmement grande à la transmission du mantra. En fait, c’est la seule façon, pour un guru, d’éveiller le disciple réellement à la vie spirituelle. On considère qu’aucune vie religieuse ne saurait commencer sans la transmission du mantra.

            On peut évidemment se poser cette question : que penser de tous les mantras qui sont imprimés dans les livres ? Après tout, les upaniṣad contiennent des mantras, et sont elles-mêmes considérées comme des mantras : n’importe qui peut ouvrir un livre, prendre un mantra, et même l’apprendre par cœur. La réponse à cela, c’est que le mantra n’a aucune puissance s’il n’a pas été transmis par le guru. Ce qui compte, c’est l’attitude de celui qui reçoit, et la puissance de celui qui transmet. On pourrait prendre comme comparaison celle de la monnaie, des billets de banque. Si le papier de banque n’a pas sa contrepartie en or dans le Trésor du gouvernement, le papier mis en circulation n’aura aucune valeur ; quelqu’un peut fabriquer de la fausse monnaie : elle aura une certaine importance, jusqu’au jour où on s’apercevra qu’elle est fausse et qu’elle ne correspond à rien de réel, qu’elle n’a pas sa contrepartie en or. De même dans la transmission du mantra, il faut qu’il y ait derrière cette transmission une autorité spirituelle, et c’est cette autorité qui donne sa valeur au mantra. Sans cette autorité, ce n’est pas un mantra. C’est l’autorité spirituelle qui transmet qui fait que c’en est un. Cela fait penser à la parabole de Śrī Râmakrishna à propos de l’almanach dans lequel sont prévues toutes les pluies de l’année : « vous pouvez, dit-il, presser entre vos mains fortement l’almanach qui prévoit les pluies, il n’en sortira pas la moindre goutte d’eau ». Il faut qu’il y ait quelqu’un pour transmettre ce pouvoir, qui fasse que le mantra devient un mantra vivant.

 

            Il existe une relation intime entre la doctrine du mantra et la doctrine du son. Vous savez qu’il y a aux Indes une théorie de la création du monde par le son, selon laquelle la première chose est le son, le verbe. Il s’agit ici non pas du son tel que nous l’entendons, mais du son non-exprimé, non-manifesté, du son qui est au-delà du son, du verbe sans son. Le son non-manifesté est considéré comme la matrice de tous les mantras, et également de tous les mots, de tout ce qui peut être prononcé. Dans ce sens-là, tout mot, dans la mesure où il peut avoir sa contrepartie non-prononcée, peut être considéré comme un mantra. Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse aujourd’hui ; aujourd’hui, nous nous intéressons particulièrement aux mantras qui peuvent être spécialement utilisés dans notre vie spirituelle pour la méditation, la concentration etc.

 

            Avant qu’un mot quelconque, qu’une syllabe ne soit prononcée, elle réside à l’intérieur sous forme de volonté, quel que soit le mot, et cette volonté, avant de s’exprimer, passe, selon la théorie des yogis de l’Inde, à travers quatre stades qui sont extrêmement importants.

            Le premier, le plus subtil, est le stade de parā, qui signifie supérieur, ou sublime. Le deuxième c’est paśyantī, qui signifie « sur le seuil de l’expression ». Le troisième stade est madhyamā, intermédiaire (qui, si vous vous souvenez de la conférence qui a été faite ici un dimanche sur les centres de conscience, correspond à peu près à la racine du palais, à la racine de la langue, juste avant l’expression grossière). Le quatrième stade, c’est vaikharī, stade qui correspond à l’expression grossière, à ce qui est exprimé.

            Cela correspond tout à fait avec les centres de conscience dont j’avais parlé ici un dimanche, et vous vous rappelez l’importance qui a été donnée au centre de conscience qui se situe dans la poitrine et dans la gorge, dans le palais. On considère aux Indes que les quatre stades sont tous non-manifestés, sauf le quatrième. […] À ce sujet, on dit qu’un mantra n’est plus un mantra dès qu’il atteint le stade de l’expression : du moment qu’il est exprimé, ce n’est plus un mantra, car quel est le sens réel, la définition réelle du mantra qu’on donne dans les Écritures sanskrites ? D’une part, ce sur quoi on peut méditer, et d’autre part ce par quoi, en méditant dessus, on est racheté, sauvé. C’est pourquoi on ne peut jamais vraiment répéter un mantra, on ne peut jamais l’exprimer complètement. Si vous prenez la répétition de Hari O Rāmakṛṣṇquand on dit la deuxième syllabe, la première s’est évanouie, elle est partie ; lorsqu’on dit la troisième, la première et la deuxième ont dû s’éteindre, elles sont perdues. Pour pouvoir répéter une syllabe quelconque, il faut pouvoir abandonner les autres, il faut que les autres s’en aillent, de telle sorte que le mantra ne peut jamais être exprimé complètement : à partir du moment où il est exprimé, ce n’est plus un mantra, et le mantra est mantra à l’état de non-manifestation. Le mantra que l’on exprime n’est pas le mantra ; il n’est mantra que dans la mesure où il n’est pas exprimé, où il est non-manifesté, et c’est ce qui nous permet de méditer, ce sur quoi on médite, ce pourquoi on accorde aux Indes une telle importance à l’état non-manifesté, à l’expression non-manifestée, à l’état non-exprimé du mantra.

            Il y a une chose très importante à considérer à propos de cet état de non-manifestation, de non-expression, c’est que dans la non-manifestation, on enseigne à l’aspirant que ce qui est en lui-même à l’état non-manifesté est égal à ce qui est à l’extérieur de lui-même non-manifesté. On trouve par exemple, à cet égard, dans la théorie indienne de la création, l’idée de nada et bindu. Nada c’est l’idée du son non-exprimé et inexprimable, qui est à l’état dispersé, l’état diffus, et qui est exprimé en vibrations – non pas concentré – et bindu est le premier point focal, le premier point de concentration qui permet une expression. Pour entendre un son quelconque, il faut qu’il y ait une condensation du son. Si un son se produit à un ou deux kilomètres de moi, j’entends ce son qui est exprimé parce qu’il y a eu une condensation qui est dans l’éther à l’état latent et, s’il n’y avait pas eu cette condensation, je n’aurais pas pu l’entendre car il n’aurait pas été exprimé, il n’y aurait rien eu à entendre. S’il n’y a pas cette condensation, cette coagulation, le son primordial, ou la vibration primordiale, est dans un état d’équilibre complet. De même pour le vent : on ne se rend pas compte du fait qu’il y a de l’air ou du vent si l’air n’est pas en mouvement ; il faut qu’il y ait un mouvement, un sens, un dynamisme dans une direction ou dans une autre, pour pouvoir se rendre compte qu’il existe – autrement, on n’en a pas conscience, il n’est pas exprimé, et c’est ainsi qu’on peut expliquer ce que signifie nada, le son sans le son, le son au-delà du son.

 

            L’état de non-manifestation est donc la même non-manifestation qui est à réaliser par l’aspirant à l’intérieur de lui-même et à l’extérieur de lui-même. C’est une idée extrêmement puissante, qui éveille sa conscience d’une façon très forte, parce qu’il se rend compte que ce qui est à l’état non-manifesté en lui est identique à ce qui est à l’état non-manifesté en dehors de lui, que ce ne sont pas deux réalités, mais une seule.

 

            On explique encore que le mot, lorsqu’il n’est pas manifesté, correspond à la volonté : avant d’être exprimé, il est une volonté, une volonté pure, on peut l’appeler la volonté divine, et cette idée est essentielle pour l’aspirant qui suit la voie d’un mantra.

            Les Védas expliquent cette idée de volonté, cet aspect non-manifesté qui correspond à la volonté et qui est assimilé à une graine, à l’état subtil de toute chose, de toute manifestation : « Au début, tout était brahman, tout était recouvert par le brahman, lui seul était l’univers, puis il pensa : “Que je crée moi-même ce vāc [vāc c’est le verbe, c’est le mot] et puisse ce mot traverser, soutenir tout ceci, l’univers tout entier” ». Le mot, vāc, était un avec lui, comme étant sa volonté, et ce verbe est devenu toute chose, c’est pourquoi nous disons que l’univers tout entier est pénétré par le verbe ou śabda brahman.

            Dans le passage des Védas qui vient d’être lu, c’est la volonté qui est mise en valeur ; dans d’autres passages, on dit que vāc est ce qui fait l’homme prodigieux, ce qui rend puissant, ce qui fait qu’un brahmane peut être un brahmane, un sage peut être un sage, un muni peut être un muni etc. C’est d’ailleurs dans les Védas que l’on considère vāc, le verbe originel, comme la déesse Sarasvatī, qui symbolise le pouvoir de toute chose en ce monde, ce qui fait que toute chose est ce qu’elle est dans cet univers. On peut ici évoquer le dixième chapitre de la Gītā dans lequel le Seigneur déclare à propos de tout ce qui est beau, grand, puissant : « Sache que cela est issu de moi-même ». On trouve un parallèle à cette idée du mot et de la volonté comme mot non-manifesté dans l’Évangile selon saint Jean qui commence par : « Au début était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Le commentaire qu’en a fait Maître Eckhart est extrêmement intéressant pour nous. Si, chaque fois que Maître Eckhart emploie le mot Verbe, nous le remplaçons par mantra, nous avons alors l’impression de lire un extrait des Védas. Voici un commentaire de Maître Eckhart : « Le Père lui-même n’entend que ce même Verbe, il ne connaît rien que ce même Verbe, il ne prononce rien que ce même Verbe, il n’engendre rien que ce même Verbe. Dans ce même Verbe, le Père entend, et le Père connaît, et le Père s’engendre lui-même, et aussi ce même Verbe et toute chose et sa propre déité jusqu’en son fond, et lui-même selon la nature ».

            On trouve la même idée dans la Māṇḍūkyopaniṣad, qui est tout entière basée sur OM, et le premier mantra des upaniṣad déclare que tout ce qui a existé, tout ce qui existe et tout ce qui existera est, assurément, OM, et que ce qui est au-delà de la triple conception du temps est également OM, ce qui signifie que la création tout entière, tous les états de manifestation, de création, viennent, sont sortis de OM – le commentaire qu’en a fait Śaṅkara est extrêmement intéressant.

            Par conséquent, tout ce qui est passé, présent et avenir est réellement OM, et ce qui est au-delà de la triple conception du temps est également OM. Śaṅkara commente en disant que tous les objets diversifiés que nous voyons, dont nous faisons l’expérience autour de nous, sont désignés par des noms et ne diffèrent pas des noms qui les désignent ; ils ne sont pas non plus différents de OM.

            « OM, le Verbe, est tout cet univers, puisque les innombrables objets que nous voyons autour de nous et qui sont, chacun, désignés par des noms, ne diffèrent en rien des noms qui leur correspondent ; en outre, puisque les divers noms ne diffèrent en rien du Verbe OM, il s’en suit que tout cet univers est véritablement OM. De même qu’une chose est connue à l’aide du nom qui lui convient en propre, de même le brahman suprême ne peut être connu qu’à l’aide du seul nom OM.
Le brahman suprême est donc véritablement OM. Le présent chapitre présente l’explication de Cela, c’est-à-dire OM, le Verbe qui est de même nature que le brahman suprême et que le brahman non-suprême, et si l’upaniṣad parle d’une claire explication, c’est parce que le mot OM offre la possibilité d’accéder à la connaissance de brahman, du fait qu’il est l’expression la plus approchée, la plus appropriée de brahman. Tout ce qui est conditionné par la triple conception du temps – autrement dit par les trois modes du temps : le passé, le présent, l’avenir – est également OM pour les raisons déjà exposées ; et tout ce qui n’est pas conditionné par le temps – et que, néanmoins, les effets produits permettent d’intégrer –, ce qui est non manifesté, cela encore, en vérité, est OM. Quoique le nom et l’objet dénommé soient une seule et même chose, l’explication qui vient d’être donnée a assigné la primauté au Verbe OM.
Or, bien que, dans le texte de l’upaniṣad : “OM est tout cela”, l’explication fournie ait reconnu la prééminence du nom OM, la même pensée réapparaît, mais cette fois c’est à la chose signifiée par le nom que l’on confère le premier rang, car l’upaniṣad cherche à inculquer cette vérité : “Dénommant et dénommé sont en tous points identiques”. S’il en allait autrement, la connaissance de la chose dépendrait du nom correspondant ; on pourrait donner à penser que l’identité du nom et de la chose ne doit s’entendre qu’au figuré, alors que le but de la connaissance de cette identité du nom et de la chose dénommée est d’écarter simultanément, par un seul et unique effort, l’illusion du nom et l’illusion de la chose, établissant ainsi la véritable nature de brahman, lequel est distinct à la fois du nom et de la chose. »

            Comme le dit ce commentaire de Śaṅkara sur OM, le but du mantra est de nous amener au-delà du nom et de l’objet, au-delà de cette conscience de la différence entre le nom et l’objet.

            Si, maintenant, le Verbe sacré est descendu, a été donné à un homme, cela lui permet alors de refaire tout le processus de la création, pour arriver à cet état de conscience et réveiller la conscience de l’état de sommeil où elle se trouve. J’avais expliqué, dans la conférence sur les centres de conscience, à propos de l’état de sommeil, que la puissance spirituelle est endormie en chacun, dans la base de la kuṇḍalinī, au bas de la colonne vertébrale, et que c’est par l’éveil de cette puissance qu’a lieu l’éveil spirituel. Selon les doctrines tantriques, les lettres de l’alphabet – et mieux vaut prendre celles de l’alphabet sanskrit – sont toutes distribuées autour des centres de conscience, comme une guirlande de fleurs en forme de spirale ; elles sont distribuées autour du canal central, qu’on appelle le canal de la suṣumnā, comme une guirlande autour du cou de la Mère divine.

Nous pensons toujours que le son, quand nous parlons, vient de la langue ou de la gorge, or pas du tout : le son, selon les tantras et selon la pensée indienne, vient de la base de la colonne vertébrale. Lorsqu’il est tout en bas, il n’est pas exprimé, il est dans une forme tout à fait subtile ; en montant, il passe par des états successifs, du plus subtil au plus grossier et, lorsqu’il a atteint l’état tout à fait grossier, c’est alors le son exprimé tel que nous le connaissons. En méditant sur cette image des mots en guirlande autour de la colonne vertébrale, et en méditant sur le son subtil non-manifesté puis de plus en plus grossier jusqu’à l’expression complète, on peut réveiller la force spirituelle endormie en chacun. On dit d’ailleurs que si, par la contemplation de chacune des lettres – considérée comme un mantra – on a compris le sens réel d’une lettre, alors on a compris toute chose et tout le mantra, de même que si on a compris la nature d’un brin d’herbe, on a compris la nature de tous les brins d’herbe.

Telle est la méthode tantrique pour réveiller la puissance spirituelle endormie en chacun. La divinité et le mantra ne sont pas différents : par la méditation sur le mantra, chacun ne fait rien d’autre que se diviniser lui-même.

 

Swâmi Siddheswarânanda : Chaque plante a une puissance médicinale que nous ne connaissons pas, sauf une petite propriété que l’herboriste nous montre, mais toutes les feuilles ont une puissance médicinale. De même chaque mot a une puissance.  Les feuilles, en plus d’une puissance botanique, prennent également une valeur personnelle pour notre guérison. De même chaque lettre a une puissance innée que nous ne connaissons pas.

            La partie essentielle de chaque mantra est le bīja, l’état causal, la racine ou la graine. La doctrine tantrique compare d’ailleurs tout le processus de l’effort spirituel et le mental lui-même à un arbre. Cet état causal, bīja, cette graine, cette semence, peut être dans le mantra OM, ou dans tout autre mantra essentiel dont on peut croire qu’il comporte une seule lettre mais, en réalité, il en comporte plusieurs.

            D’autre part, dans le mantra est contenu le nom d’une divinité : OM est considéré comme la graine causale. Puis le nom de la divinité, Rāma par exemple, est considéré comme la jeune pousse. Puis toutes les pratiques spirituelles – le culte, la saṁdhyā, la répétition de la Gāyatrī ou de tout mantra, les chants de louanges que l’on adresse à la divinité autrement dit toute la dévotion – sont comparées successivement au tronc, aux branches, aux feuilles de l’arbre, à toutes ses parties différentes. Vient ensuite le fruit de l’arbre de l’adoration. Quel est ce fruit ? C’est la valeur pragmatique, disait notre Swâmi : la divinité devient notre propre guide, notre protecteur, non pas dans un sens vague et général, mais dans un sens personnel et très précis. Dans un texte appelé Kavaca, on parle du fruit de l’arbre de la dévotion comme étant une amulette, ou une armure d’acier, qui protège complétement. Une description de l’amulette est même donnée : « Toute chose – la richesse, la famille, les enfants, le voyage que vous entreprenez etc. – est protégée par un aspect de la Mère divine, et à chacun de ces aspects correspond un nom de la Mère divine, et si le culte et l’adoration de la Mère divine ont été faits comme il convient, alors le fruit de cette adoration, kavaca, advient et il s’en suit une protection dans le sens le plus concret, le plus pragmatique, car on pourrait se demander pourquoi toute cette dévotion, s’il n’y a pas de fruit, à quoi bon un arbre, s’il ne donne rien.

            Le tantra affirme encore que cet arbre de la dévotion et de la vie spirituelle est tout entier contenu dans l’état causal, dans la graine. Le pouvoir tout entier du mantra se trouve dans le bīja – et il y a beaucoup de bīja-mantra comme OM par exemple. Pour ceux qui ne sont pas réveillés, ces sons n’ont évidemment aucun sens, ils ne disent absolument rien. Mais, en réalité, le bīja-mantra, qui apparemment n’a aucun sens, est une condensation extrêmement puissante de la divinité qui a été perçue par les Sages dans des moments de méditation. Chaque bīja-mantra se termine toujours par un son nasal (par exemple gaṁ qui est le bīja-mantra de Gaṇapati) que l’on appelle le bindu – non pas au sens métaphysique, mais dans le sens d’un point, exactement comme lorsqu’on écrit la lettre OM : on écrit un croissant et on met un point au-dessus. Ce point, qui indique le son nasal, signifie ce qui chasse toute souffrance, tout chagrin, toute douleur, et on médite sur lui. Par exemple le bīja-mantra qui correspond à Kālī est kriṁ. La première lettre, k, signifie Kālī ; la deuxième lettre, r, est l’aspect de mahāmāyā, celle qui pénètre tout, qui soutient toute chose ; la troisième partie, m, est celle qui fait s’évanouir le chagrin et la souffrance. […]

           

            Il y a une autre idée à propos du mantra, c’est qu’il a été chargé de puissance spirituelle par des générations et des générations de grands êtres spirituels. On peut très bien ne pas savoir ce que signifie le mantra, pourtant si on le répète, on obtient le même résultat que quelqu’un qui sait, […] comme dans le cas d’un fil électrique : que vous le sachiez ou non si ce fil est chargé, il émet de l’électricité et, si vous le touchez, vous recevrez un choc, c’est inévitable. On raconte, à ce sujet, la très belle histoire d’Ajāmila. Cet homme, tout à fait ordinaire, alors qu’il était en train de mourir, appela son dernier fils, lequel se nommait Nārāyaṇa. Du seul fait qu’il prononça ce nom, il fut sauvé, puisque le nom de son fils était aussi un nom du Seigneur. Bien entendu, si on a pleine conscience de la signification du mantra, de ce qu’il représente, il aura beaucoup plus de force. Si on sait comment prendre un médicament, il n’en a que plus d’effets, il n’en est que plus efficace, on en tire davantage de bénéfices – c’est-à-dire ici une élévation spirituelle.

            Telle est la gloire du japa, la répétition du nom divin. Vous savez combien Śrī Guru Mahārāj a insisté sur la répétition du nom de Dieu, sur la pratique du japa. Il disait que la sadhana de ce kali-yuga – cet âge dans lequel nous vivons – c’est le japa. On peut le pratiquer sous ces deux aspects : on répète sans savoir ce que cela signifie, ou on répète en réfléchissant, en méditant profondément sur la signification du nom du Seigneur. Ces deux pratiques aident, elles permettent toutes deux, lorsque le mental s’échappe, s’égare, quitte le point de concentration, de le ramener aux pieds de la divinité sur laquelle on médite, de le fixer de nouveau sur l’objet de la méditation. En cet âge, je le répète, chanter et répéter le nom du Seigneur est la pratique la plus facile et la plus efficace. La Bhagavad Gītā dit dans son dixième chapitre : « De tous les sacrifices et de toutes les autres austérités, Je suis le japa ». Alors que, dans les Védas, accomplir des sacrifices était extrêmement compliqué, puisqu’il fallait tout un monde, tout un matériel, des articles de toutes sortes, la Bhagavad Gītā court-circuite tout cela d’un seul coup en déclarant que la répétition du nom est le plus grand des sacrifices, le plus efficace. […]

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[1] Conférence donnée à Gretz le 19 août 1956.

 

                                                                                                                                                                                                                                                              

                                                                                                                                                                                                                        Vedānta 223 - Juillet 2021 

                                                                                                                                                                                                                              

 


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