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Vedānta 224 - Editorial - Swami Baneshananda : Le yoga de la libération par le renoncement

Editorial

Pour ce trimestre, le thème du Védanta est Śrī Kṛṣṇa.

Vous y trouverez la transcription d'une conférence de Swâmi Baneshananda sur le dernier chapitre de la Bhagavad Gītā, et la transcription de deux conférences données à Gretz par Swâmi Siddheswarananda (en 1953) et par Swami Nityabodhananda (en 1956).

A ces trois articles, s'ajoutent la rubrique "Il y a..." et la suite du Journal de voyage de Vivekânananda.

Bonne lecture.

 

Conférence de Swami BANESHANANDA

 

Bhagavad Gītā - Chapitre 18

Le yoga de la libération par le renoncement

 

Retranscription de trois conférences de Swami Baneshananda

Janvier, février et mars 2021

 

 

 

Ce dix-huitième chapitre, connu sous le nom de mokṣa yoga, ou mokṣa saṁnyāsa yoga – nous étudierons la signification de ces mots – est le dernier des six chapitres qui clôturent la Bhagavad Gītā. Vous vous souvenez que les dix-huit chapitres de la Gītā peuvent être divisés en trois groupes et que chacun des groupes compte six chapitres.

 

 
Le premier groupe traite principalement du karma yoga, c’est-à-dire des moyens d’atteindre la libération spirituelle au travers d’un travail éthique.

Le second groupe traite principalement d’upasāna, c’est-à-dire le bhakti yoga, ou comment atteindre la libération à travers la dévotion et la méditation.

Enfin, le dernier groupe de six chapitres traite de jñāna yoga, ou la libération finale, mokṣa, que l’on atteint par le chemin de la quête.

 

Le troisième groupe, et particulièrement le dix-huitième chapitre, le dernier de toute la Gītā, est la conclusion des discussions sur la vie spirituelle entre Arjuna et Śrī Kṛṣṇa. Il comporte soixante-dix-huit versets. Le chapitre commence en parlant du détachement complet, c’est pour cela qu’on l’appelle saṁnyāsa, car il permet d’atteindre la libération. Cette libération s’appelle mokṣa en sanskrit.

 

Les neuf sujets abordés dans le chapitre 18

 

Le premier sujet traité dans les versets 1 à 17, est saṁnyāsa et tyāga. Śrī Kṛṣṇa y explique la différence entre ces deux mots : saṁnyāsa désigne la vie monastique formelle et tyāga le détachement complet, l’abandon. Saṁnyāsa ne signifie pas seulement l’adoption de la vie d’un moine, mais aussi le complet détachement de ce qui attache. Il s’agit de se détacher soi-même de tous les liens et attachements, parce que non seulement les chaînes peuvent attacher une personne, mais une personne peut aussi s’attacher elle-même à ces chaînes. Le saṁnyāsin, lui, choisit d’abandonner toutes ses chaînes.

 

Le second sujet traite de jñāna yoga, la recherche de notre nature réelle.

 

Le troisième sujet traite des trois guṇasattva, rajas, tamas – et différencie la connaissance (jñāna), l’action (karma), l’intellect (buddhi), la joie (ānanda) chacun en trois types.

 

Le quatrième sujet est le karma yoga. Śrī Kṛṣṇa insiste ici sur notre devoir personnel.

 

Le cinquième sujet est de nouveau le jñāna yoga, mais Śrī Kṛṣṇa met surtout l’accent sur la méditation et l’atteinte de la connaissance de soi à travers la méditation.

 

Le sixième sujet traite encore du karma yoga mais Śrī Kṛṣṇa insiste sur la dévotion dans le karma yoga.

 

Le septième sujet est le résumé de tous les sujets de la Gītā. En seulement quatre versets Śrī Kṛṣṇa résume ainsi la globalité, les dix-huit chapitres de la Gītā.

 

Dans le huitième sujet, Śrī Kṛṣṇa donne ses propres remarques en revenant sur les différents sujets.

 

Et enfin, le neuvième sujet est la conclusion par Sañjaya. Vous vous souvenez que nous avons connu Sañjaya au tout début de la Gītā. Les tous premiers versets commencent par une question de Dhṛtarāṣṭra, le roi aveugle, qui s’informe sur l’issue de la bataille.

 

1er sujet : Arjuna veut connaître la différence entre saṁnyāsa et tyāga

 

Dans les chapitres 13, 14 et 15, Śrī Kṛṣṇa a parlé de la connaissance de soi en termes très détaillés. Dans les chapitres 16 et 17, il parle des vertus : comment pratiquer les bonnes qualités qui nous permettent de purifier notre esprit, car seul un esprit pur peut atteindre à la connaissance de soi. Nous avons vu dans ces chapitres comment Śrī Kṛṣṇa aborde les principes védantiques.

 

C’est dans ces conditions qu’Arjuna pose sa dernière question, à savoir : « Quelle est la différence entre saṁnyāsa et tyāga ? ». Ces mots sont souvent utilisés au cours des précédents chapitres et nous avons compris qu’ils sont synonymes, mais il existe une différence dans la pratique. Śrī Kṛṣṇa répond dans le chapitre 18 d’une manière très détaillée à la question d’Arjuna, et il en profite pour donner un résumé complet de la Gītā. Nous pouvons laisser de côté le premier chapitre parce que, dans ce chapitre, il n’y a pas d’enseignements. Il parle de la bataille et du dilemme d’Arjuna par rapport à cette bataille. En dehors de ce chapitre d’introduction, la Gītā comporte seize chapitres, du chapitre 2 au chapitre 17, et les enseignements de ces seize chapitres sont résumés dans ce dix-huitième chapitre.

 

Dans ce chapitre 18, Arjuna pose une seule question. C’est dans le premier verset : Arjuna dit à Śrī Kṛṣṇa : « Ô Kṛṣṇa, je veux connaître la vraie signification de saṁnyāsa et de tyāga, pourquoi utilises-tu ces deux mots ? Dis-moi s’il y a des différences ». En fait, les deux mots décrivent la même idée et leur principale signification c’est l’abandon, que l’on connaît aussi sous le nom de renonciation. Mais le mot renonciation a une connotation plus précise qui veut dire tout abandonner et devenir un moine.

 

L’abandon ou le renoncement

 

Śrī Kṛṣṇa donne le contexte de ces deux mots. Il énumère dans les versets 2 et 3 les vues de certains philosophes puis, à partir du verset 4, il explique, comme promis, son point de vue. Il semble d’abord qu’il ne fasse pas de distinction de sens entre ces deux mots : on peut dire indifféremment abandon ou renonciation, leur signification est la même. La différence se situe dans ce qui est abandonné : selon ce qui est abandonné, on utilise soit saṁnyāsa soit tyāga.

 

Considérons deux groupes d’humains : certains prennent le chemin du saṁnyāsa, de la vie monastique, donc de l’abandon ; d’autres prennent le chemin du « monde », eux aussi abandonnent beaucoup de choses, mais pas les mêmes choses. L’abandon des moines est appelé saṁnyāsa et l’abandon en général, autant celui des moines que celui des autres, est appelé tyāga. On peut dire que tous les saṁnyāsa sont tyāga, mais tous les tyāga ne sont pas saṁnyāsa. Ainsi tyāga est le même pour les moines et pour les autres. La différence se situe dans ce qui est abandonné.

 

Śrī Kṛṣṇa ne fait pas de différence entre les chefs de famille qui restent engagés dans le monde et les moines. Il fait la différence entre ceux qui souhaitent rester engagés dans le monde et ceux qui veulent se désengager eux-mêmes du monde. Il souligne l’importance des devoirs obligatoires. Śrī Kṛṣṇa dit qu’on ne doit pas éviter de faire des rites quotidiens car ils purifient l’esprit et qu’on doit agir sans désir personnel, surtout pour les actions qui sont liées à notre libération finale, que ce soit la réalisation de Soi ou la réalisation divine. Quant à toutes ces actions qui sont appelées « devoirs quotidiens », Śrī Kṛṣṇa dit qu’elles ne doivent pas être abandonnées.

 

Voyons maintenant ce que sont ces devoirs obligatoires

 

Śrī Kṛṣṇa en nomme spécifiquement trois : yajña, dana et tapas.

Le premier devoir est le yajña. Ce mot se traduit par « rituel » ou « sacrifice ». Il signifie l’abandon au profit d’autres façon de vivre. Nous ne menons pas notre vie de façon isolée, nous vivons en société et nous dépendons des contributions des autres personnes. De la même manière, les autres dépendent aussi de nous. Ainsi nous avons des devoirs envers eux. Et quand nous remplissons ces devoirs, nous accomplissons yajña. Nous savons que le dharma est la seule règle de vie. Mais comment le pratiquer ? Le plan d'action du dharma est donné dans la pédagogie du yajña, du dana et du tapas.

 

Dans les écritures spirituelles et dans la tradition, on parle de pañcamahāyajña, les cinq grands yajña : ils sont deva-yajña (sacrifice aux dieux) ; ṛṣi-yajña (hommage aux ṛṣi) ; bhūta-yajña (hommage à la nature) ; pitṛ-yajña (hommage aux ancêtres) ; et manuṣya yajña (hommage à ceux qui souffrent).

 

Le deuxième devoir obligatoire est dana qui signifie donner, c’est-à-dire partager notre temps et nos ressources avec les autres, avec ceux qui en ont besoin. Nous trouvons un exemple pour illustrer dana dans cette histoire de l’enfant qui dit à son père : « Papa je n’ai pas besoin de ton argent, j’ai besoin de ton temps. »

 

Enfin le troisième devoir c’est la pratique de tapas, austérité et modération. Quelle est la différence entre ces deux mots ? Austérité veut dire utiliser moins que ce dont nous avons besoin et modération veut dire n’utiliser précisément que ce dont nous avons besoin, et pas davantage. Bien sûr, les besoins sont relatifs à chaque être humain ; les besoins d’un homme sont différents de ceux d’une femme ; ceux d’un enfant de ceux d’une personne âgée, etc. Mais la signification des mots « austérité » et « modération » reste la même pour tous. Et Śrī Kṛṣṇa dit que nous avons le devoir de pratiquer tapas. Il dit aussi qu’il donne ce conseil à ceux qui veulent purifier leur esprit – ils doivent développer austérité et modération – mais que la pratique doit être abandonnée dès que la pureté est atteinte.

 

3ème sujet : Les trois guṇa dans la renonciation et l’abandon

 

Dans les trois versets suivants, Śrī Kṛṣṇa divise la renonciation selon les trois guṇatamas, rajas, sattva – on a donc une renonciation tamasique, une renonciation rajasique et une renonciation sattvique. Nous reviendrons là-dessus plus tard.

 

Puis il traite de trois catégories d’abandon selon l’action et le résultat de l’action. Quand nous faisons quelque chose, nous le faisons pour obtenir un certain résultat.  Il y a donc deux parts dans l’action : ce que l’on fait et ce que l’on obtient. Ainsi tyāga est l’abandon, mais l’abandon de quoi ? l’abandon de l’action ou l’abandon du résultat ? On distingue trois types d’abandon. 

 

Le premier type, c'est l'abandon du désir des actions. Quand on fait une action, on doit la faire sans attachement au résultat. C’est cela l'abandon du résultat, ce n’est pas l'abandon de l'action. Le second type d'abandon, c'est l’abandon des besoins en prenant le vœu de la renonciation. On doit abandonner toutes les actions effectuées avec le désir d'un résultat. Bien qu’il y ait l’attrait d'obtenir un résultat, il faut néanmoins abandonner ce désir car c’est de cette manière que va s’accroître l’habitude d'abandon. Le troisième type d'abandon, c’est l’abandon total : l’abandon aussi bien des actions que des résultats. Vous n’êtes plus intéressés ni par l’action, ni par le résultat, vous n’avez plus le besoin de résultat, ni pour vous ni pour les autres.

 

Śrī Kṛṣṇa glorifie la renonciation qui est de la nature de sattva guṇa. Et cette forme de renonciation implique l’abandon de tout désir de résultat. Dans cet esprit, nous faisons une action parce qu’il est nécessaire de la faire et non parce que nous avons l’amour du résultat. Nous la faisons parce que c’est notre devoir de la faire. C’est cela qu’on appelle karma yoga. Ce dernier chapitre nous parle de karma yoga parce qu’il est un résumé de toute la Gītā et que le karma yoga est guidé par une connaissance très claire des différents types de karma. On retrouve là l’idée de discernement dans la différenciation, c’est ce qu’on appelle la connaissance ­– jñāna ­– étudiée dans les chapitres précédents. Ici, Śrī Kṛṣṇa parle de jñāna yoga et c’est la clé de la réalisation de soi.

 

2ème sujet : Les cinq facteurs impliqués dans la voie du jñāna yoga

 

La voie du jñāna yoga est celle qui nous mène vers notre nature réelle profonde et, tout comme celle du karma yoga, elle est reliée aux trois guṇa. Śrī Kṛṣṇa dit que cinq facteurs sont impliqués dans chaque action et, que l’on suive l’une ou l’autre des voies, ces cinq facteurs sont présents. Cela est discuté dans les versets 13 et 14.

 

Le premier facteur est le corps : nous devons avoir un corps en bonne santé, un corps qui ne nous perturbe pas dans nos pratiques spirituelles.

Le deuxième facteur, c’est le prāṇa, la force vitale. Si le corps est en bonne santé, la force vitale fonctionne bien.

Le troisième facteur est le mental avec les organes des sens. Quand le corps et le prāṇa fonctionnent harmonieusement, alors le mental et les organes des sens fonctionnent aussi normalement ; il y a moins d’irritation.

Le quatrième facteur est l’ego ou la conscience de soi-même.

 

Ces quatre facteurs sont obligatoires : le corps, la force vitale, l’esprit et ses organes des sens, l’ego. Les trois premiers facteurs n’ont pas autant de pouvoir que l’ego, mais parfois ils augmentent l’ego : si je suis en bonne santé et que je suis égoïste, je critique ceux qui ne sont pas en bonne santé, etc. L’ego a besoin d’être discipliné et, pour cela, le corps, le prāṇa et les autres ne sont pas forcément d’une grande aide.

 

Śrī Kṛṣṇa indique alors qu’il existe un cinquième facteur : ce facteur c’est Dieu. Il nous faut accepter Dieu comme la personne la plus puissante et reconnaître son grand pouvoir bénéfique. Nous devons garder de la place pour Dieu. Il faut prendre soin de son corps, de son prāṇa, etc. mais, pour faire attention à Dieu, il faut tout simplement lui laisser la place qui lui revient.  Nous n’avons pas appris à obéir à cause de notre ego. Donc laissons l’ego obéir au pouvoir divin et ainsi nous deviendrons des chercheurs spirituels accomplis.

 

Śrī Kṛṣṇa dit que les actions bonnes ou mauvaises sont faites à travers ces cinq facteurs. Le Soi n’est impliqué dans aucune de nos actions, mais à cause de l’identification à ces facteurs, nous croyons que nous sommes les auteurs de nos actions. Nous pensons que nous sommes le propriétaire de notre corps, nous pensons que nous faisons tout. En même temps nous avons vu que les sages sont libérés des actions bonnes ou mauvaises et ne sont pas affectés par le résultat de leurs actions. Leurs sens, leur corps, leur esprit, etc. fonctionnent, mais ils n’ont pas ce faux ego ou ce « je » lié à l’identification. Lorsque je m’identifie à mon corps, lorsque je pense que je suis mon corps, alors je pense que ce corps est moi. Mais les sages ne font pas cela, ils ne pensent pas être les propriétaires de leur corps et ne sont perturbés par aucune de leurs actions. Śrī Kṛṣṇa résume ces idées dans les versets 13 à 17 seulement. Souvenons-nous qu’il a donné un aperçu du jñāna yoga de façon beaucoup plus élaborée et plus précise dans plusieurs autres chapitres.

 

Śrī Kṛṣṇa précurseur de la psychologie. Les trois guṇa. Les sept traits de caractère.

 

Abordons maintenant le troisième sujet, qui est très important et qui décrit un phénomène qui n’est apparu nulle part ailleurs auparavant dans le monde, dans aucune autre Écriture. Śrī Kṛṣṇa, environ trois siècles avant Jésus-Christ, a été un précurseur des sciences mentales en introduisant sept facteurs nécessaires pour n’importe quelle action quotidienne. Comme il savait que cette science était une nouveauté, il l’a élaborée pas à pas. Śrī Kṛṣṇa dit que l’être humain est fait de sept traits de caractère et que ces traits sont divisés en trois types basés sur les trois guṇa.

 

Voici ce que sont ces sept traits qui décrivent notre propre personnalité.

  1. La dispersion : nous ne sommes pas intéressés par les choses qui sont utiles à notre vie spirituelle.
  2. La compréhension juste
  3. L’action
  4. La prise en charge de notre responsabilité
  5. Notre intellect
  6. Le désir
  7. La joie.

 

Ensuite Śrī Kṛṣṇa explique que dans le désir de connaître, trois éléments sont impliqués : le connaisseur, le connaissant et ce que nous voulons connaître. De la même manière, faire quelque chose implique : le travailleur, le travail et l’instrument. Il décrit cela dans le verset 18. Au verset 19, il dit que, dans la philosophie qui traite des guṇa, la connaissance, l’action et l’agent de l’action sont chacun divisé en trois, selon son guṇa. Il décrit ces trois types spécifiques et il insiste sur le fait que rien dans la création n’est libre de ces trois guṇa. Cela est traité dans les versets 20 à 40.

 

Selon la théorie des personnalités de Jung, il existe quatre fonctions psychologiques de base : pensée, sensation, sentiment, intuition. Chacune de ces fonctions est divisée en deux, selon qu’on est introverti ou extraverti. Ces quatre traits divisés en deux deviennent donc huit traits de personnalités. Plus tard, Briggs et Myers ont décrit seize traits de personnalité en ajoutant le jugement et la perception à la liste des fonctions selon Jung. Et ces traits de personnalités nous sont familiers, ils ont des acronymes comme INFP, INFG, etc.

 

Dans la Gītā, Śrī Kṛṣṇa dit que nous avons sept traits de base. Cela donne vingt et un traits de caractère puisque nos traits de personnalité peuvent être rajasiques, tamasiques ou sattviques. Si nous suivons le processus de combinaison comme dans la psychologie moderne, on aura alors un nombre de personnalités incalculable, parce qu’en combinant et en recombinant ces vingt et un traits, on les démultiplie d’autant.

 

Les sept traits qui caractérisent la personnalité

 

Commençons par le premier trait, l’abandon ou le renoncement, et voyons comment il se divise en trois types.
Śrī Kṛṣṇa dit que nous devons faire nos devoirs quotidiens et qu’ils ont des conséquences sur nos personnalités. Ces devoirs produiront, soit de bonnes associations, celles qui nous aident dans notre vie spirituelle, soit de mauvaises associations, celles qui font obstacle à notre vie spirituelle. Il dit que nous devons abandonner nos associations aux actions mauvaises. Cet abandon dépend de notre attitude parmi les trois types d’attitudes possibles.

Avec davantage de sattva guṇa l’attitude sera de tendance sattvique : quand nous faisons nos devoirs, et que nous pratiquons l’attitude sattvique d’abandon des mauvaises associations, cela s’appelle l’abandon sattvique.

Mais si nous pratiquons l’abandon en ayant peur d’effectuer notre travail, cela n’est pas vraiment de l’abandon. C’est plutôt un abandon de type rajasique.

De la même manière il peut y avoir une renonciation basée sur le tamas : je ne veux pas faire quelque chose parce que je ne sais pas ce que cette chose m’apportera ; donc je ne la fais pas. Cette renonciation ne sera pas utile pour notre vie spirituelle. C’est ce qu’on peut lire dans le verset 7.

 

Le second trait est la connaissance, jñāna. La connaissance sattvique est celle d’une personne qui est capable de voir l’unité dans la création qui, elle, ne fait pas de séparation. Cela est décrit dans le verset 20. Quand nous ne voyons pas l’unité mais les différences, c’est la connaissance rajasique. La connaissance tamasique, elle, s’identifie au corps.

 

Le troisième trait est karma ou l’action, lui aussi divisé en trois types. L’action est sattvique quand nous faisons notre devoir sans attachement au résultat. Une action est rajasique, quand elle est faite avec égoïsme pour avoir un résultat. Et une action tamasique est une action indiscriminée, pour laquelle nous n’avons même pas pris le temps de penser au résultat.

 

Le quatrième trait est l’agent, « celui qui fait ». Un agent sattvique est une personne qui est intéressée mais détachée dans l’action, enthousiaste et très calme dans le succès ou dans l’échec. C’est le verset 26. La caractéristique de cette personne est qu’elle n’est pas perturbée en cas d’échec. Un agent rajasique est celui qui est attaché, envieux, qui se réjouit de ses succès et s’écroule en cas d’échec. Et un agent tamasique n’a pas de discipline, il est arrogant, fainéant, ou il procrastine.

 

Le cinquième trait est l’intelligence, ou l’intellect. Une intelligence sattvique connaît le dharma, le bien et le mal, les entraves, les liens et la libération, et choisit ce qui l’aide dans son développement spirituel. C’est le verset 30. Un intellect rajasique est presque l’opposé du sattvique : c’est un intellect qui connaît le dharma, mais de manière erronée, et qui ne fait pas la différence entre le bien et le mal. Et un intellect tamasique, c’est celui qui justifie le fait de ne pas pratiquer le dharma. Cet intellect tamasique est un intellect pervers.

 

Le sixième trait parle de la volonté dans le chemin spirituel. Śrī Kṛṣṇa nous dit que le chemin spirituel poursuivi avec persévérance démontrera un comportement sattvique. La persévérance – le pouvoir de la volonté – est ce qui nous aide à atteindre nos buts. La volonté rajasique est celle qui suivra le dharma, poursuivra la prospérité matérielle, et continuera à satisfaire ses désirs mais sans fondation dans la spiritualité. Le pouvoir de volonté tamasique, quant à lui, est plutôt une « panne » de volonté. On retrouve ce comportement chez quelqu’un qui n’est pas capable de discipliner ses mauvaises habitudes, qui ne peut pas renoncer à trop dormir, qui n’essaie pas d’abandonner ses peurs, qui se plaint constamment.

 

Enfin, le septième trait, c’est la joie ; elle est notre but. La joie est également de trois types, et Śrī Kṛṣṇa dit que tous les types de joie ne sont pas appréciés. La joie sattvique est la joie qui est un peu amère au début mais qui grandit grâce à l’usage de la patience et du pouvoir de volonté. Cette joie est liée à la connaissance de soi : plus on connaît sa nature réelle, plus on sait qu’on est de nature divine, plus le bonheur se développe progressivement. Le bonheur rajasique, lui, n’est pas patient, il veut des résultats rapidement ; et ce bonheur obtenu rapidement ne dure pas longtemps. Quant au bonheur tamasique, il nous laisse croire que nous sommes heureux mais il nous fait souffrir. Cette souffrance est causée par nos énormes addictions : nous savons que nous souffrons, mais c’est comme si nous aimions ces souffrances et que nous nous complaisions dans notre souffrance. Ce bonheur n’est pas un véritable bonheur.

 

Par ces sept traits, Śrī Kṛṣṇa montre donc les trois guṇa en chacun de nous afin que nous poursuivions notre évolution, en tentant de pratiquer le type sattvique pour atteindre notre but.

 

4ème sujet : Pratiquer svadharma pour poursuivre le chemin de jñāna

 

Voici le quatrième sujet, le karma yoga. Śrī Kṛṣṇa insiste sur le devoir personnel. Il ne parle pas ici de l’action en elle-même, mais plutôt de l’action qui doit être réalisée en fonction du dharma de chacun. Svadharma signifie le devoir à accomplir selon notre nature. Śrī Kṛṣṇa dit que nous devons faire nos devoirs, en gardant le Seigneur présent dans notre mental afin de le purifier et de garder l’harmonie dans le monde. La pratique de svadharma nécessite deux qualités : le détachement – l’oubli de toute idée égoïste – et le contrôle de soi. Ces deux qualités, encore une fois, purifient le mental et ainsi nous pouvons suivre le chemin de jñāna.

 

 

 

5ème sujet : jñāna et méditation

 

Dans le cinquième sujet, jñāna, Śrī Kṛṣṇa insiste sur la méditation, dhyāna : il faut retirer le mental des attachements temporaires, réduire la colère, l’envie, etc., et se retirer dans un endroit solitaire. Alors on peut pratiquer la méditation en étant fermement établi en brahman pour être libéré des désirs et des souffrances. Nous pourrons avoir le même regard sur chacun et voir ātman en tous. Devenir un avec brahman signifie se libérer de notre nature de division. Voilà l’idée de jñāna yoga sur laquelle Śrī Kṛṣṇa insiste ici.

 

6ème sujet : karma et dévotion

 

Dans le sixième sujet, Śrī Kṛṣṇa insiste sur la dévotion. Des versets 57 à 63, il revient au karma yoga et nous recommande d’avoir non seulement une attitude d’abandon dans l’action, mais aussi d’abandon à Dieu. Initialement, karma et yoga sont deux disciplines différentes, mais plus tard le karma devient le yoga. Tout ce que l’on fait se transforme en yoga, yoga signifiant « devenir un avec Dieu. »

 

Śrī Kṛṣṇa apporte ici une idée lumineuse : l’unité du karma et du yoga. Nous devons combiner l’action et le yoga car, avec la vieillesse, notre force physique diminuant, nous pouvons développer des maladies et ainsi perdre petit à petit notre capacité à faire des actions. Nous pratiquons le karma yoga mais, un jour, nous ne pourrons plus accomplir les actions, alors nous aurons toujours le yoga avec nous. Nous pourrons alors lire, écouter de belles conférences, et lorsque nous aurons perdu la vue et l’ouïe, nous apprendrons alors à passer du temps en méditation, à vivre en contemplation et à visualiser tous les aspects de la vie spirituelle.

Supposons que nous nous souvenions de certaines parties des Entretiens de Śrī Râmakrishna, nous pourrons alors visualiser mentalement Râmakrishna, assis, en train d’enseigner à ses disciples. Cela s’appelle līlā dhyâna, la méditation sur le jeu divin d'une incarnation de Dieu ou d'un grand saint. C’est pour cela que le yoga a été ajouté au karma. De cette manière, la partie principale du travail aura été faite : non seulement nous aurons dédié à Dieu le résultat de nos actions, mais nous aurons abandonné l’action elle-même. Et cela ne nous attristera pas. Nous aurons trouvé quelque chose qui a beaucoup plus de valeur, appelé yoga ou méditation.

Cette signification du karma yoga est vraiment profonde et très pratique. Nous pouvons nous débarrasser du karma le moment venu. Les actions et leurs résultats tombent alors d’elles-mêmes et nous sommes capables de méditer, parce que nous avons déjà pratiqué pendant que nous étions en période d’activité. Il n’est pas facile de méditer si nous croyons que nous ne pourrons méditer que lorsque nous aurons accompli toutes nos actions. La méditation n’est d’aucune aide dans une vie qui n’a pas de sens. Elle doit être pratiquée aussi pendant notre vie professionnelle afin de lui donner un sens.

 

7ème sujet : Résumé de la Gītā

 

Maintenant, après avoir conseillé à Arjuna de pratiquer le yoga pendant 18 chapitres, toute la Gītā va se terminer. Nous avons vu que Śrī Kṛṣṇa est l’enseignant et qu’Arjuna est l’élève, mais Śrī Kṛṣṇa n’est pas un maître, et Arjuna n’est pas un esclave. Arjuna se demandait quel était son devoir. Pour répondre à cette simple question, Śrī Kṛṣṇa a dû expliquer les quatre yogas. Arjuna ne pouvait pas pratiquer la méditation sur le champ de bataille, il ne voulait pas gagner la bataille, il
voulait juste faire son devoir. Et il savait que le résultat n’était pas dans ses mains, qu’il y aurait peut-être une victoire, ou peut-être un échec. Mais cela n’était pas
la question. Il voulait juste savoir quel devoir était approprié pour lui sur ce champ de bataille.

 

Dans le verset 63, Śrī Kṛṣṇa dit à Arjuna qu’il lui a expliqué les choses afin de l’éclairer du point de vue de l’éthique et du devoir et qu’il a fait le lien entre le devoir et la vie pratique. Désormais c’est à lui, Arjuna, de mettre ces clarifications en action. Au lieu de le commander, en disant : « Tu dois », Śrī Kṛṣṇa conseille à Arjuna de mettre en pratique ce qu’il a appris. Il ne le force pas à le faire, il lui laisse le choix. C’est là l’approche des Écritures : elles sont là pour enseigner, non pas pour commander.

 

Śrī Kṛṣṇa ressent alors une grande affection pour Arjuna. Il sait qu’Arjuna avait besoin de son aide et il va lui donner un autre conseil, il lui dit : « Fixe ton esprit sur Dieu, sois un dévot, abandonne à Dieu le résultat de cette bataille et alors tu seras capable de trouver ton chemin et d’être libéré de ton karma. Cela va nettoyer ta vision et au lieu de gémir, tu sauras vraiment ce que tu dois faire dans une telle situation ». Et c’est là le dernier conseil de Śrī Kṛṣṇa.

 

8ème sujet : Śrī Kṛṣṇa décrit celui qui est apte à recevoir ses enseignements

 

Śrī Kṛṣṇa fait quelques remarques de conclusion où il explique que les gens capables de recevoir une telle instruction sont ceux qui ont foi en Dieu et qui veulent mener une vie orientée vers la spiritualité. Nous vivons tous une vie spirituelle, ou nous sommes peut-être en train d’essayer de la vivre. Accomplir nos actions avec éthique et morale ne suffit pas pour ce que l’on appelle une vie spirituelle. La vie spirituelle est une vie orientée vers des buts spirituels. Śrī Kṛṣṇa dit qu’il faut avoir foi en la discipline, avoir le désir de connaître, et avoir la dévotion envers des buts spirituels et qu’alors il sera facile de suivre une vie spirituelle. Tel est l’enseignement final de Śrī Kṛṣṇa.

 

Il détaille ensuite le résultat qui sera obtenu si ses conseils sont suivis. Il dit que la personne qui reçoit ses enseignements, et les accepte avec tout son cœur, atteindra son but spirituel. Il dit aussi que quelqu’un qui partage ses connaissances avec les autres atteindra aussi son but spirituel, même si ce n’est qu’une seule personne qui profite de ce partage.

 

Et alors Śrī Kṛṣṇa pose une question très personnelle à Arjuna. Comme vous le savez ils sont cousins. C’est cette humanité qui ressort de Śrī Kṛṣṇa quand il lui demande si son illusion est partie ou non, s’il a bien compris son enseignement et si sa confusion est dissipée. Arjuna lui dit clairement : « Je te suis très reconnaissant de m’avoir donné ce savoir. J’ai retrouvé ma force intellectuelle et je suis déterminé à agir comme tu me le conseilles ». Arjuna ajoute : « Ne t’en fais pas, tes enseignements n’ont pas été vains, ils sont très utiles et je les ai appris comme il convient ». C’est une très belle discussion humaine de personne à personne. Jusque-là nous avions vu Śrī Kṛṣṇa comme enseignant spirituel et Arjuna comme un élève dans la confusion. Et tout au long de la Gītā, Śrī Kṛṣṇa n’a pas fait de concession sur ces rôles. Il a essayé de parler à son cousin fraternellement de temps en temps, mais aussi avec l’autorité d’un enseignant, et il a toujours maintenu ce rôle très élevé. Maintenant son humanité s’exprime et c’est pourquoi il demande à Arjuna s’il a bien compris ses enseignements.

 

9ème sujet : Conclusion par Sañjaya.

 


Au début de la Gītā nous avions rencontré Sañjaya. Souvenez-vous que le premier chapitre commence avec la question du roi Dhṛtarāṣṭra qui voulait savoir ce qui se passe sur le champ de bataille. Et c’est là que Sañjaya a commencé à raconter la Gītā à ce roi aveugle. L’humanité est reconnaissante de cette contribution de Sañjaya qui dit au roi qu’ils sont bénis d’avoir des conversations aussi profondes. Rappelez-vous qu’au milieu de la Gītā, la vision cosmique de Dieu, viśvarūpa, a été révélée à Arjuna ; elle a été vue également par Sañjaya. Et la Gītā est cette vision cosmique.

Ayant entendu ce dialogue glorieux entre Arjuna et Śrī Kṛṣṇa, nous sommes maintenant capables de lire cette vision et de voir à quel point Sañjaya est béni. Dans le dernier verset, Sañjaya conclut en disant que toute personne qui lira ce dialogue entre Arjuna et Śrī Kṛṣṇa pourra mettre en pratique ces connaissances, dans le respect de la richesse matérielle ou dans le respect des buts permanents. Il dit que quiconque lira ce texte pourra utiliser ces connaissances pour obtenir la victoire, pour atteindre la justice, ou pour dissiper la confusion. Ce sont là les bénéfices de la lecture de la Gītā.

 

La philosophie de la Bhagavad Gītā est une philosophie de vie tout entière, qui nous enseigne comment profiter de ce monde et d’une vie spirituelle de manière à atteindre notre libération finale. Voilà le merveilleux message de la Bhagavad Gītā.

Et tel est le dix-huitième chapitre intitulé « Le yoga de la libération par le renoncement ».

 

 

 

                                                                                                                                                                    Vedānta 224 - Octobre 2021

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   

 


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