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Vedānta 224 - Swâmi Siddheswarananda - KṚṢṆA

Swâmi SIDDHESWARANANDA

 

 

 

 


KṚṢṆA[1]

 

Nous allons fêter demain l’anniversaire de Kṛṣṇa, et à cette occasion, je vous parlerai de Kṛṣṇa et de son message dans ses lignes générales.

Comme celle de Jésus chez les chrétiens, cette fête est célébrée par tous les Indiens sans exception, du Kashmir au Cap Comorin, du Gujarat aux confins de la Birmanie.

 

La personnalité de Kṛṣṇa est presque mythique, nous ne savons même pas s’il a eu une existence historique. Il en est déjà fait mention dans les Upaniṣad ; ensuite, dans la période puranique, vers le Xème siècle avant Jésus-Christ, le mythe, ou l’histoire de Kṛṣṇa, revêt une telle amplitude que les autres personnages des Upaniṣad passent au second plan. C’est l’avènement de l’incarnation dans la pensée indienne. Il y en a déjà une idée dans le Rāmāyaṇa – Rāma est un personnage antérieur à Kṛṣṇa. Mais la place prise par Kṛṣṇa est si importante qu’il n’y a pas une seule personne en Inde qui songerait à mettre en doute sa véracité, bien qu’elle ne repose sur aucune documentation historique. C’est là la gloire de l’Inde : ne pas mettre trop d’accent sur l’histoire.

Pour vous, ici, dans le monde chrétien, le facteur historique dans la personnalité de Jésus est très important, le moindre doute jeté sur ce point affecte profondément la foi, parce que vous avez la notion de paradis terrestre, de parousie : c’est seulement après la communion mondiale dans la croyance en Jésus-Christ que pourra se produire sa deuxième venue. Comme vous pouvez le lire dans une brochure du Père Daniélou, c’est ce qui explique ce grand désir, chez les chrétiens, de convertir le monde entier, car Jésus ne peut revenir tant que subsiste une seule personne en dehors de la foi chrétienne, et c’est pourquoi il faut obtenir cette conversion générale le plus vite possible. Au temps de saint Paul, on croyait cet avènement très proche, puis on en a reculé la date, et on la recule de plus en plus. […]

On ne peut mettre sur le même plan la personnalité de Jésus et celle de Kṛṣṇa. Pour la personnalité de Jésus, l’historicité est absolument nécessaire. Vous avez même eu des controverses à ce sujet : Renan l’a mise en doute ; Guignebert, professeur à la Sorbonne, l’a rétablie. […] Pour les chrétiens, l’historicité de Jésus est la chose essentielle alors que, pour les hindous, c’est la personnalité – et pour eux cette personnalité peut être mythique. Chez les musulmans, c’est la doctrine qui seule importe. […]

 

La personne de Kṛṣṇa est devenue bien plus historique que l’histoire ne pourrait elle-même la décrire. Comme je l’ai déjà dit dans mon article sur saint Jean de la Croix, ce n’est pas un acte de naissance enregistré dans une mairie qui peut donner une réalité à notre existence. Kṛṣṇa est devenu un caractère vivant, polyvalent, multiple, comme la vie elle-même. C’est pourquoi il ne faut pas être choqué s’il n’est pas seulement un idéal pour les sages et les ascètes, mais aussi pour les voleurs et les débauchés. Vous pouvez lire des anecdotes qui racontent comment il volait du beurre et du lait, et entendre des chants où on l’invoque ainsi : « Toi qui es débauché, toi qui es voleur ». Pourtant, si l’on comprend bien le symbolisme de ces anecdotes, celle de ses aventures avec les gopī par exemple, on doit bien se rendre compte que ses ébats amoureux ont une tout autre signification que celle d’une simple aventure licencieuse. D’ailleurs, le Kṛṣṇa héros de cette aventure n’avait que sept ans, et celui qui la raconte, c’est Śukadeva, le plus grand ascète au monde.

 

J’ai déjà exposé en d’autres occasions cette notion de gopī. Les gopī  représentent l’aspect passif de prakṛti, et Kṛṣṇa l’aspect viril, masculin. Le cosmos entier, toute la manifestation, sont passifs, car ce qui anime cette manifestation est le puruṣa, Dieu. Cette notion d’une manifestation passive animée par une force virile est commune à plusieurs traditions. On la retrouve dans l’ésotérisme de l’islam et du christianisme, comme dans celui de l’hindouisme. La manifestation change continuellement, tout est impermanent. Selon la doctrine bouddhiste, « la seule chose permanente est l’impermanence ». Or, quand une chose change continuellement, il doit y avoir une chose qui produit ce changement, et qui est supérieure à la force qui subit le changement. La force qui suscite le changement est puruṣa, Dieu, et la force qui la subit est prakrti. Nous avons l’impression que c’est la prakṛti qui est active, mais ce n’est pas le cas, la prakṛti n’est que passive. C’est la conception de cette prakṛti passive – du cosmos entier – transposée sur le plan humain qui est représentée par le mythe des gopī. Dans ce mythe, la gopī des gopī est Rādhā, et c’est seulement lorsque Rādhā abdique sa volonté à l’entière merci de celle de Kṛṣṇa qu’elle obtient l’union avec lui.

La notion de Rādhā, la gopī des gopī, c’est la notion du guru. Selon cette tradition, le guru n’est pas une personne masculine. Il est l’intermédiaire entre la créature et Dieu. Dans l’article sur saint Jean de la Croix, j’ai expliqué que, dans la tradition catholique, c’est l’Église qui est le guru, parce qu’elle est
l’intermédiaire entre [les Hommes] et Dieu.

 

Intervention d’une auditrice : D’après les chrétiens, c’est le Christ qui est le seul intermédiaire. C’est écrit en toutes lettres dans les Évangiles.

Swâmi Siddheswarananda : Si vous voulez vous en tenir à la lettre des Évangiles, alors vous pouvez aussi y lire ceci : « Là où deux personnes sont réunies en mon nom, je suis au milieu d’eux ».

L’auditrice : C’est toujours le Christ !

Swâmi Siddheswarananda : Oui, mais alors le Christ dans le sens bouddhiste : Buddham śaraṇaṁ gacchāmi – Dharmaṁ śaraṇaṁ gacchāmi – Saṅgaṁ śaraṇaṁ gacchāmi c’est-à-dire que d’abord Bouddha est là, puis la doctrine, puis enfin la communauté. Bouddha est venu ; il est parti ; il est mort. Quant à la doctrine on peut l’oublier, ou bien il n’est pas à la portée de tout le monde de pouvoir la lire dans son texte original, ou d’en comprendre les commentaires de Śaṅkara. Mais dès qu’il s’agit de saṅga – la communauté – la personne de Bouddha (ou de Jésus s’il s’agit de chrétiens) est là, vivante, dans la crème de la société que cette communauté représente.

Lors de notre discussion de l’autre jour, lorsque je vous ai dit : « J’ai vu Jésus-Christ », vous avez protesté : « Comment ! Jésus est mort il y a deux mille ans, et vous êtes né l’autre jour : vous ne pouvez donc l’avoir vu ». « Mais, vous ai-je répondu, quand j’ai vu le film représentant la mort de Gandhi, j’ai vu le Christ ». Quand Jésus fut crucifié, il a dit : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Je ne sais pas s’il a vraiment prononcé ces paroles, mais elles sont devenues historiques pour nous.

Sur cette base, la grande idée d’amour et de pardon s’est faite toute puissante dans le monde chrétien. À travers Tolstoï, elle a imprégné la conscience de Gandhi. L’esprit de Gandhi était tout à fait christianisé – son interprétation de la Gītā est elle-même influencée par les Évangiles – aussi quand la balle l’a traversé, il est tombé aux genoux de son meurtrier en répétant : « Ram, Ram, Ram ! », c’est-à-dire qu’il vénérait son assassin comme Rāma et, dans ce geste, vous pouvez voir la reproduction de l’attitude de Jésus.

Un fait analogue s’est produit dans la vie de Râmakrishna. Il fut un jour violemment maltraité par un employé du temple qui lui avait demandé, en vain, de lui communiquer son pouvoir d’attirer les gens. Quand, plusieurs années plus tard, cet employé dut être renvoyé pour d’autres méfaits, le propriétaire du temple reprocha à Râmakrishna de ne pas l’avoir avisé à temps de la conduite de cet homme, et Râmakrishna répondit : « Ce n’est pas l’employé qui était fautif, c’était moi, qui n’ai pas eu le pouvoir de changer son opinion erronée ». On peut même dire que cette attitude de Râmakrishna était encore supérieure à celle de Jésus, si celui qui pardonne conserve vis-à-vis de celui qui est pardonné, un certain sentiment de supériorité : « Vous êtes dans l’erreur, je suis dans la bonne voie, mais je vous comprends, je vous excuse et je vous pardonne ». L’attitude de Râmakrishna était : « J’ai conscience d’être dans le vrai, mais mon amour n’est pas devenu assez puissant pour changer vos erreurs ».

La présence de Jésus a donc revécu dans l’incident de Gandhi, et je peux dire que j’ai vu Jésus sans qu’il m’ait été nécessaire d’être son contemporain. C’est pourquoi le saṅga est très important.
Dans le saṅga, la personnalité n’est plus là, mais elle conserve sa tradition et, par elle, la personnalité d’un Jésus, d’un Gandhi, d’un Râmakrishna, reste devant nous comme la cime d’une montagne vers laquelle regarder. Par eux, la doctrine devient vivante parce qu’elle a eu une source vivante, sans laquelle il n’y aurait pu y avoir ce reflet.

 

Toute cette digression a pour but de vous montrer qu’une doctrine devient vivante quand son représentant interprète notre attitude envers nos semblables.

 

La prakṛti semble toujours active, mais c’est une fausse activité. Vous connaissez la remarquable illustration de Râmakrishna : les enfants qui regardent les légumes sauter vivement dans la casserole croient que ce sont les légumes qui dansent ; ils ne savent pas que c’est l’énergie du feu qui les fait sauter. De même, quand nous sommes dans prakṛti, nous pensons que c’est nous qui agissons, mais ce n’est pas prakṛti qui agit, c’est puruṣa. La prakṛti n’est que féminine et passive. Que cette passivité s’exerce sur le plan du cosmos, dans la Voie lactée, les galaxies ou les extra-galaxies, cela nous touche très peu : seul nous importe vraiment le plan humain. Et sur ce plan, qui nous donne la démonstration de cette passivité ? C’est Rādhā, c’est le mythe des gopī. […] Dans ce mythe, les personnes non éclairées ne voient qu’un épisode de la vie de débauche de Kṛṣṇa, alors qu’il cache un profond symbole. […] C’est comme si, en lisant le Cantique des cantiques, vous en preniez tous les détails au pied de la lettre, sans essayer de pénétrer l’extraordinaire profondeur de son symbolisme. […]

Quand on saisit la vraie signification du mythe de Kṛṣṇa, on y trouve le plus grand enseignement transposé sur le plan humain : nous sommes tous dans la prakṛti, en laquelle il y a trois états, sattvique, rajasique et tamasique, c’est-à-dire l’équilibre, l’activité et l’inertie (les trois guṇa). Le mythe des gopī s nous montre dans quel état nous devons nous maintenir pour réfléchir la gloire de Dieu. On peut lire dans la Gītā (III, 27) : « Toutes les actions ne sont accomplies que par les qualités de la nature. Le soi, trompé par l’égoïsme, pense : “C’est moi qui agis” ». Voilà la cause de toutes nos erreurs : nous pensons que nous sommes les acteurs, alors que nous ne le sommes pas. Ce ne sont pas les légumes qui dansent dans la poêle, c’est l’énergie du feu qui les fait se mouvoir. C’est parce que saint Paul avait réalisé cette connaissance
qu’il a pu dire : « C’est Jésus qui vit en moi ». Quand on arrive à sentir que « ce n’est pas moi qui agis », on atteint l’état d’harmonie, de tranquillité. Mais, à chaque instant, nous avons le sentiment que c’est nous qui agissons, et toute la doctrine de Kṛṣṇa du côté de la discipline religieuse a pour but de nous inculquer l’idée contraire.

Un autre aspect important du personnage de Kṛṣṇa, c’est qu’il peut être l’idéal de n’importe quel type d’humanité. Toutes les tendances humaines, aussi bien la gourmandise et la débauche que l’ascétisme, sont personnifiées en lui. Peu importe que Kṛṣṇa ait vécu ou non : c’est la gloire de l’Inde d’avoir créé un caractère d’une envergure aussi universelle, que l’on ne retrouve dans aucune autre épopée, et qui soit capable de se mettre au diapason de tout être humain. Vivekânanda avait certainement devant lui l’image de Kṛṣṇa quand il disait dans ses Entretiens inspirés : « Je n’ai jamais rencontré un homme qui ne fût pas au moins mon égal. J’ai voyagé dans le monde entier, je me suis trouvé parmi les gens les plus dépravés, même parmi les cannibales, et je n’ai jamais vu un homme qui ne fût au moins mon égal. J’ai agi comme eux-mêmes agissent, quand j’étais dans le même état d’ignorance qu’eux. Je ne savais pas mieux alors. Maintenant, je sais ; eux ne savent pas. Bientôt, ils sauront ».

 

Chacun agit selon sa propre nature. Nous sommes tous en processus de croissance, d’évolution. De ce point de vue, aucun homme n’est meilleur qu’un autre. Qui que vous soyez, un cannibale, un Dr Petiot ou un saint Vincent de Paul, vous pouvez trouver en Kṛṣṇa votre idéal. Si vous êtes un ascète, vous le rencontrerez comme votre idéal en lisant le premier chapitre du Bhāgavata, l’Uddhava Gītā, dont vous avez la traduction par Swâmi Prabhavananda, Wisdom of God. Dans la Bhagavad Gītā, il est le grand guerrier, le conducteur du char d’Arjuna. Dans le Mahābhārata, qui est l’histoire compliquée de querelles entre différents États, Śrī Kṛṣṇa était le médiateur, et il pourrait servir de modèle à nos diplomates modernes dans leurs méthodes de tricheries et de compromissions. De même, il est le plus grand idéal pour les amants à l’esprit romantique. Il est aussi celui qui a prêché la Gītā, la doctrine la plus pure de toutes les Upaniṣad, la doctrine du dharma, et qui a enseigné à Uddhava la doctrine de pure renonciation.

Est-ce qu’après tout cela la figure de Śrī Kṛṣṇa reste comme celle d’un vulgaire débauché ou d’un voleur ? Non. Mais quand on lit sa vie, on se rend compte que l’on ne peut éviter la rencontre avec lui dans n’importe quelle situation de notre existence. La manière dont il a quitté le monde est devenue tout à fait sans importance. Pour vous, les circonstances de la mort de Jésus-Christ sont devenues l’essentiel, parce que le chemin du Calvaire, c’est la voie du salut. Je connais un Père catholique, qui a écrit à Romain Rolland, en lui disant que l’histoire de Râmakrishna l’avait beaucoup ému, mais qu’il ne pouvait lui donner son adhésion parce qu’il n’était pas mort sur la Croix. Pour la conscience chrétienne, l’idée du rachat de nos fautes par le sang du Christ est essentielle, et si vous retirez la Croix, il n’y a plus de christianisme. C’est la voie du salut. Dans l’Inde, notre notion du salut trouve sa satisfaction dans notre doctrine du karma et des renaissances.

 

Cela concerne l’aspect purement religieux. Mais, à côté du Kṛṣṇa religieux, il y a le Kṛṣṇa cosmique, ce Kṛṣṇa qui a « ses yeux partout, ses bras partout, ses pieds partout » (Gītā XI). Et au-delà du Kṛṣṇa historique et mythique, au-delà du Kṛṣṇa purement cosmique, qui est le symbole des éléments dont le plus important est l’ākāśa, il y a encore, mentionné d’une façon très cachée dans la Gītā, le Kṛṣṇa acosmique, qui n’est ni cosmique ni personnel, qui n’a aucun message à transmettre. Vous trouvez la même idée dans La doctrine suprême du Dr Benoit, et dans le bouddhisme mahayana. C’est la doctrine de la réalité. Je vous lirai tout à l’heure ce message incorporé dans le neuvième chapitre, le plus important de la Gītā, et qui montre en même temps l’humanité de Kṛṣṇa. En quoi consiste cette humanité de Kṛṣṇa ? À partager la souffrance sur le plan humain. Si nous nous plaçons sur le plan cosmique et si nous pensons que tout le cosmos est constitué par un élément unique, l’hydrogène (selon la thèse exposée récemment par Hoyle), cela ne nous aidera aucunement à résoudre nos problèmes quotidiens. Ce n’est pas cela qui nous procurera les moyens matériels nécessaires à notre subsistance, ni apaisera les souffrances qui nous assaillent physiquement et psychiquement. Kṛṣṇa, donc, se place aussi sur le plan humain ; son cœur saigne avec le nôtre, et il nous montre que l’on peut faire appel à lui pour trouver un remède à nos tribulations. Vous pouvez lire cela dans le neuvième chapitre qui est le milieu de la Gītā, ainsi qu’à la fin du dix-huitième chapitre.

Au verset 39 du neuvième chapitre, il dit notamment : « Tous ceux qui cherchent refuge en moi, de quelque origine qu’ils soient – femmes, vaiśya, śūdra – tous vont vers le sentier suprême ». Vous pouvez voir l’annonce de l’ascension au pouvoir de la quatrième classe, le mouvement prolétaire, qui est mal compris par les marxistes. Alors que ces derniers prêchent la prise d’assaut du pouvoir par les masses, la Gītā prévoit et annonce l’intégration de la doctrine dans les masses. J’ai déjà exposé ce point de vue dans d’autres causeries.

Dans les temps très anciens, la direction de la société était assumée par des personnes capables d’interpréter la Révélation, c’est-à-dire par les prêtres. Les masses étaient ignorantes et les rois eux-mêmes ne savaient pas lire et acceptaient la direction des prêtres. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le cléricalisme, autrement dit la mitre et le sabre représentant la śakti, l’énergie. De même que seuls vos prêtres savaient le latin et interpréter la Bible, de même en Inde seule une petite coterie était capable d’interpréter nos Écritures. Puis vint avec Rāma et Kṛṣṇa une période de transition où prit place la lutte entre les prêtres et les guerriers qui accèdent à la connaissance. Vous y verrez des rois qui sont devenus des jīvan-mukta, tels que le roi Janaka. Rāma lui-même avait été instruit par Vasiṣṭha, très grand érudit et connaisseur de Brahman. C’est à la cour du roi Janaka que les prêtres et les brahmanes venaient alors pour apprendre la science secrète de Dieu, et c’est ensuite seulement qu’ils commencèrent à l’interpréter. Puis, plusieurs siècles après, vient, avec Gandhi, l’accès à la connaissance de la classe des commerçants, les vaiśya. Gandhi est devenu le centre de toute une doctrine spirituelle – la doctrine spirituelle n’en est pas affectée pour autant, seuls ses porte-parole ont changé. Interprétée par Gandhi, la doctrine est devenue extrêmement puissante car il en était, aux yeux de tous, la personnification. L’accès à la doctrine dépend d’un besoin intérieur de connaître.

Quand l’instruction se sera généralisée et qu’il n’y aura plus d’analphabètes, il y aura alors dans l’Inde, même parmi les parias et les intouchables, des personnes qui pourront interpréter la doctrine – mais la doctrine n’en sera pas affectée. Kṛṣṇa a déjà dit, dans le troisième chapitre : « Si je ne travaille pas, le monde périra ». Le « je » est ici identique à la doctrine. Si l’on commence à oublier la doctrine, tout sera perdu. Je cite souvent ces paroles de Dostoïevski dans Les frères Karamazov : « Si le péché, le mensonge, la tentation sont autour de nous, il y a cependant quelque part sur la Terre un saint, un être supérieur ; il possède la vérité, connaît cette vérité. C’est donc qu’elle ne meurt pas sur la Terre, c’est donc qu’un jour elle sera parmi nous et règnera sur le monde ainsi qu’il est promis ». Au moment des grands désespoirs ou des grandes atrocités dans l’histoire humaine, nous pensons à Jésus-Christ, à une Jeanne d’Arc, un Père de Foucault, à toutes les hautes personnalités qui restent comme des phares de l’humanité.

 

Nous verrons plus tard que selon la prophétie de la Gītā, le monde ne sera pas dominé par le matérialisme dialectique des marxistes. Ce que celui-ci apportera, c’est un changement économique qui, peut-être, créera un terrain propice. Dans l’Inde, il y a cette immense force spirituelle qui peut donner une nouvelle impulsion à la doctrine, si le destin est favorable. Le destin, dans ses effets matériels, est toujours défavorable pour l’Inde ; récemment encore, lors de l’inondation du fleuve Godāvarī, cent mille personnes sont mortes, et un million de personnes est resté sans abri […]. Pourquoi une calamité d’une telle ampleur peut-elle se manifester en Inde ? Par suite du manque d’instruction des masses. Et c’est là que nous rejoignons la grande thèse de Vivekânanda :
« Ne faites aucune politique pour changer le gouvernement ou les institutions, mais faites un grand effort pour donner la nourriture et l’instruction aux masses. Introduisez en elle l’ingrédient chimique, et la cristallisation se fera d’elle-même, à son heure ». On a commencé à mettre en œuvre ce programme en Inde, et en Russie également. C’est ce qui fait peur maintenant, car la connaissance mise à la portée des masses peut devenir dangereuse : il vous est désormais impossible de dominer et maîtriser une classe par la puissance de votre connaissance, aux dépens de son ignorance.

Que se produira-t-il quand les masses auront compris ? De leur compréhension leur viendra une angoisse car, sans compréhension, il n’y a pas angoisse. Et quand viendra l’angoisse, obligatoirement les gens se tourneront vers la doctrine. C’est inévitable. C’est pourquoi je ne suis pas d’avis que nous marchons vers une ère de dégénérescence, quoi qu’il semble en être ainsi pour le moment. Les temps viendront où la nécessité de la venue d’un Kṛṣṇa ou d’un Jésus n’existera plus. Pourquoi ces grands êtres sont-ils venus ? Parce que « la vertu était en train de chanceler » comme il est dit dans la Gītā. Rappelez-vous les paroles si puissantes de Vivekânanda, dont plusieurs personnes m’ont déjà demandé l’explication : « Les méchants paient le prix de la venue des grandes âmes. Si, en effet, il n’y avait pas de personnes adonnées au mal et à l’abjection sous toutes ses formes, il n’y aurait pas non plus de raison d’être pour un Râmakrishna, un Jésus, un Bouddha. Chacun devrait y penser quand il rencontre un homme pervers. De même que le labeur du pauvre paie le luxe du riche, de même, sur le plan spirituel, la terrible dégradation des masses est le prix que paie l’Inde pour l’éclosion de belles âmes comme celle de Mīrabai ou de Bouddha ». Vivekânanda exprime ici, dans sa manière volcanique, la même idée que m’exposait un jour le professeur Langevin au sujet de l’exploitation des masses : « Tandis que nous sommes ici bien au chaud, me disait-il, avec le chauffage central, il y a des milliers d’hommes qui peinent au fond des mines, et la plupart des choses que nous utilisons pour notre confort, nous les devons au travail des autres. Quand l’énergie atomique sera libérée et employée pour le bien-être des hommes, non pour des buts de guerre, nous pourrons délivrer ces hommes de leur esclavage ». De même que Jésus, Swâmiji disait : « Si nous mangeons trois bons repas, nous en privons d’autant des malheureux qui ne les ont pas ».

 

Intervention d’une auditrice : Mais nous ne pouvons pas, en nous privant d’un repas, aider ceux qui n’ont pas le nécessaire. Heureusement qu’il y a des saints !

Swâmi Siddheswarananda : Non, non ! Ce n’est pas votre âme chrétienne qui parle en vous ! Je ne veux certainement pas dire que c’est simplement en donnant la nourriture aux sinistrés au moment des inondations que nous résoudrons le problème. Ce qui est nécessaire, c’est d’aider les masses à devenir créatrices. Si vous avez mille lingots d’or et que vous les distribuez aujourd’hui même, cela ne changera aucunement la situation. Ce que l’on doit donner aux masses, c’est l’instruction. Comme le dit Swâmiji : « Si un Bouddha, un Jésus, une Mīrabai surgissent, c’est grâce au contraste : une sainteté ne peut exister que par rapport à la bassesse de la société ».

L’auditrice : Pas juste !

Swâmi Siddheswarananda : Très juste !

L’auditrice : Non, ce n’est pas juste !

Swâmi Siddheswarananda : Écoutez donc ce que Gandhi a écrit sur le livre d’or de l’hôpital fondé par notre Ordre à Bénarès (vous savez que nous avons parmi les intouchables, les étudiants, plusieurs hôpitaux dirigés par les moines comme docteurs, chirurgiens et infirmiers) : « J’espère que les moines de l’Ordre de Râmakrishna travailleront de telle manière qu’il n’y aura plus nécessité d’hôpitaux dans notre pays ».

L’auditrice : Ceci est le domaine de la médecine préventive.

Swâmi Siddheswarananda : Non, non, c’est celui d’un idéal actif. Vous allez voir pourquoi je dis cela pour la fête de Kṛṣṇa. À la fin du neuvième chapitre, Kṛṣṇa dit : « Quoi que tu fasses, quoi que tu manges, quoi que tu offres, quelque effort d’austérité que tu fasses, accomplis-le comme une offrande que tu me fais. – C’est ainsi que tu te libéreras des liens du karma, qui produit les fruits bons ou mauvais ; harmonisé par le yoga du renoncement, tu te libéreras et tu viendras à moi. – Je suis le même pour tous les êtres, personne ne m’inspire attrait ou éloignement. Ceux qui m’adorent avec dévotion sont en moi et je suis en eux ».

Notez bien ceci : « Je suis le même pour tous les êtres, personne ne m’inspire attrait ou éloignement » ce qui veut dire : je ne suis pas venu pour les pauvres, je ne suis pas venu pour les riches. Puis viennent ces versets : « Même si le plus grand des pécheurs m’adore sans partage, il sera considéré comme un juste, car il a résolu juste. – Il apprend vite à faire son devoir et s’achemine vers la paix éternelle. Sache que celui qui m’adore ne périt jamais. – Tous ceux qui cherchent refuge en moi, ô Pārtha, de quelque origine qu’ils soient : femmes, vaiśya ou même śūdra, tous vont vers le sentier suprême. – D’autant plus les saints brahmanes et les saints royaux qui m’adorent avec vénération. Tombé dans ce monde transitoire et vide de joie, adore-moi avec ferveur ».

Selon ces paroles, il n’y aura, à aucun moment, de rupture dans la doctrine, et dans l’Inde nous ne croyons pas du tout que ce changement qui va se faire par la prise de pouvoir de la quatrième classe puisse être dangereux, parce que la doctrine sera toujours devant nous.

[…] À ce propos, vous connaissez cet épisode de la vie de Vivekânanda. Il était entré dans la vie spirituelle et avait commencé son interprétation des yogas et de la doctrine comme une méthode de soulagement des misères humaines, telle qu’elle est définie dans le vingt-troisième verset du sixième chapitre : « Le yoga est le vrai moyen par lequel on peut désagréger les éléments qui nous donnent la souffrance ». Vous voyez que, dans la Gītā, il y a plusieurs définitions du yoga. L’une d’elle est métaphysique : avoir l’égalité de vision ; l’autre est celle du karma-yoga : pratiquer la dextérité dans le travail ; une troisième, celle du hatha-yoga, qui régularise prāṇa et apāna dans le prāṇāyāma ; puis vous y trouverez aussi, sous l’influence profonde du bouddhisme, une explication du yoga comme moyen pour retirer la souffrance. Or la souffrance survient par suite de la conjonction de différents facteurs par le manque d’équilibre. Il s’agit donc de savoir comment désagréger ces facteurs. Cette doctrine a fortement frappé Vivekânanda. Il venait voir souvent Râmakrishna, il était jeune universitaire qui désirait « voir Dieu ». Il était déjà allé auprès du grand-père de Tagore, en lui demandant : « Pouvez-vous m’aider à voir Dieu ? ». Il était fou de Dieu. Puis il a compris que cette folie de Dieu n’est qu’une fausse mystique, un angélisme de très basse classe, tant que n’est pas obtenue la stabilité économique. […]

[Kṛṣṇa dit :] « Je suis le manifesté et le non-manifesté » et, comme non-manifesté, il n’a demeure nulle part. Puis il ajoute encore : « Et même en moi, les êtres n’ont pas de racine ». Voyez cette flagrante contradiction, d’abord il dit : « Les êtres ont racine en moi » puis, dans le verset suivant : « Et même en moi, les êtres n’ont pas de racine ». Et c’est sûrement avec un sourire ironique et superbe qu’il continue : « Vois mon yoga souverain ». Car, pour le yoga, il doit y avoir deux termes, puisque « yoga » signifie « union », deux termes qui se confrontent et finissent par s’unir : « toi » et « moi ». Je vais essayer de vous faire comprendre cela le plus brièvement possible. Ici se trouve toute la doctrine de māyā. Cette manifestation n’est que momentanée. Nous sommes des êtres animés et nous sentons que nous avons notre demeure en quelque endroit. Où avons-nous cette demeure ? En tant que corps physiques, nous avons cette demeure dans les éléments or, comme je vous l’ai déjà souvent expliqué, les cinq éléments ne sont pas cinq choses différentes, ce ne sont que les cinq aspects différents d’une même chose. Il n’y a que le prāṇa. Chacun de nous est énergie, une condensation d’énergie. Si vous demandez : « Où est le prāṇa ? », vous serez aussi embarrassés de répondre que ces élèves d’Amérique dont parle Vivekânanda et à qui l’institutrice essayait d’expliquer la gravitation : « Supposez, disait-elle, que la Terre tombe ». Les enfants n’arrivaient à trouver ni exemple ni réponse, jusqu’à ce qu’une fillette demande : « Mais où tomberait-elle ? ». Qui peut, en effet, donner là une réponse ? De même, si vous dites que vous êtes le prāṇa, où demeurez-vous en tant que prāṇa ? Le prāṇa ne désigne pas seulement l’état manifesté, sous les états solides, liquides, ignés et gazeux, mais aussi l’état non-manifesté qui enveloppe et pénètre tout, et qui est l’ākāśa, ou le continuum espace-temps, ou l’espace vide, comme on dit dans la science moderne. Ainsi, quand j’ai demandé au professeur von Karman, grand physicien, ami d’Einstein : « Supposez que l’on envoie une onde électrique de Paris à New-York, où est le milieu dans lequel agit cette onde ? », il m’a répondu : « Il n’y a pas de milieu ». De la même manière, si nous demandons : « Où demeure le prāṇa ? », il nous faut convenir qu’il n’y a pas un lieu où il demeure. Nous sommes dans le prāṇa, nous sommes le prāṇa. Aussi quand nous disons : « Je suis en toi », cette notion de « toi et moi », de « moi et toi », est une création de notre ignorance. La multiplicité n’existe pas, la réalité est innommable, et il est inutile de chercher un endroit déterminé où pouvoir la saisir. Dans notre littérature védantique, nous avons, pour illustrer cette haute vérité, plusieurs images, comme celle-ci par exemple. Nous sommes tous de petits singes qui nous cramponnons au ventre de la maman singe alors que, en définitive, il n’y a ni petit singe, ni maman singe. Mais, tant que nous ne possédons pas la vraie connaissance, nous avons besoin d’un appui. Cette connaissance ne peut être réalisée par notre vision habituelle, par nos moyens de compréhension habituels. C’est la même vérité qu’enseigne ici Śrī Kṛṣṇa, mais enveloppée dans un langage sucré, comme une pilule amère enrobée de sirop. C’est la même grande thèse de non-causalité qui est contenue dans la Māṇḍūkya upaniṣad, et qui y est condensée au trente-deuxième verset du deuxième chapitre : « Il n’y a ni dissolution, ni mort, ni esclavage du monde, ni aspirant à la sagesse, ni chercheur de libération, ni libéré. Voilà la vérité absolue ». Il n’y a que le grand rien dont parle Maître Eckhart. Nous sommes angoissés, dans la māyā, après avoir postulé la dualité et la multiplicité. Et pourtant, quand cette angoisse est là, en nous, le même Śrī Kṛṣṇa dit : « Je suis le refuge ». Ce même chapitre où il lance sa bombe à retardement de la non-causalité, il le termine avec ces paroles de consolation (verset 22) : « À ceux, toujours harmonieux, qui m’adorent d’une façon exclusive, je donne pleine sécurité ».

Ainsi, immédiatement après avoir exposé cette thèse qu’il n’y a ni « toi » ni « moi » (c’est la doctrine suprême), il ajoute : « Ceux qui ne sont pas capables de concevoir cela, qu’ils me considèrent comme sauveur du monde, qu’ils m’offrent une fleur, une feuille, un fruit ».

Sur le plan cosmique, ou plutôt sur le plan humain, nous avons besoin d’un idéal, ou d’une personne, qui nous donne la direction et qui nous montre comment nous conduire dans le monde. Cette direction nous est donnée par Śrī Kṛṣṇa dans notre mythologie. Il y figure comme le symbole de l’ascète parfait – sur ce plan, il n’est ni le voleur, ni le débauché, ni l’homme politique. Sur notre terre, seul un homme éclairé peut nous indiquer la voie. C’est seulement sous la forme humaine que la réalisation peut être atteinte, jamais dans un corps animal, c’est pourquoi la naissance en un corps humain est si appréciée chez les hindous, comme chez les bouddhistes mahayanistes.

Si vous voulez aboutir à l’extinction de cette souffrance, il vous faut tomber dans le vide. Dès que vous postulez la créature et Dieu, il y a angoisse, mais c’est une angoisse très propice. Au fond, tout le monde désire vivre dans une espèce de masochisme, être torturé par une souffrance. Une espère de dialogue s’établit alors entre la créature et Dieu, la créature qui gémit, implore, adore ou se rebiffe, et Dieu qui accorde ou s’esquive. Vous trouverez toutes les alternatives de ce doux commerce chez bien des poètes et des mystiques hindous, musulmans ou chrétiens. Mais, si l’on désire sortir de ces misères, il faut en désagréger les facteurs, ces deux pôles dont l’un est la créature, c’est-à-dire le moi, et l’autre Dieu, c’est-à-dire le non-moi. Cette multiplicité doit disparaître. En ceci, je ne parle pas du tout mon langage propre, je fais simplement le commentaire de Maître Eckhart. Ici, dans la Gītā, Śrī Kṛṣṇa s’exprime d’une façon édulcorée : « Adore-moi, fais-moi des offrandes, je te protégerai » dit-il continuellement. Mais, de temps en temps, il introduit quelques passages où vous retrouverez, si vous en pénétrez bien le sens profond, la même doctrine que celle de Maître Eckhart qui disait : « Je prie Dieu de me libérer de Dieu ». Qui peut se permettre de dire cela ? C’est exactement la même idée que celle des versets que je viens de vous expliquer. C’est en ce sens que je dis souvent que la notion de Dieu ne m’intéresse pas du tout alors que j’adhère pleinement à celle de Jésus. En ce sens, je suis chrétien, parce que Jésus est la personne. Je vous ai dit que je suis païen et idolâtre. Je suis idolâtre de la personne de Jésus parce qu’il nous montre comment on doit se conduire dans ce monde, comment on peut y voir fleurir la fleur d’amour. Dieu ne nous donne pas cela. Avez-vous vu Dieu procurer quelque chose à qui manque du nécessaire, soulager vos douleurs, ou porter votre valise quand elle est trop pesante ? […] C’est pourquoi, sur le plan concret, c’est Jésus qui est important, et notre évasion dans la pensée de Dieu, c’est exactement notre évasion dans cette thèse de « Moi qui suis en Toi, Toi qui es en moi ». Mais l’essentiel est la personne. Quand Śrī Kṛṣṇa dit : « Crois en Moi, adore-Moi, Je suis toujours près de toi », c’est de la personne historique – pour nous mythique – qu’il s’agit. Et dans cet amour, dans cette bhakti, il y aura finalement la connaissance. Ainsi, dans la Gītā, vous trouverez le carrefour de la connaissance : l’amour et l’action entre lesquels il n’existe aucun conflit. On n’y parle que très peu du prāṇāyāma, à peine aux chapitres cinq et six. L’essentiel est de devenir un vrai homme. L’idéal de cet homme, selon la Gītā, est l’homme sans peur car, dès que la peur nous envahit, notre mémoire nous échappe et, dès que la mémoire fait défaut, nous ne savons plus comment ajuster notre relation au monde. La Gītā commence avec la perte de la mémoire causée par la peur d’Arjuna et se termine par le recouvrement de cette mémoire, grâce à laquelle nous sentons que nous sommes la Réalité.

Nous vivons en contact continuel avec Kṛṣṇa. Pour donner à notre corps la nourriture, et à notre cœur l’amour, c’est une personne concrète qu’il nous faut. Quand vous pensez à l’expression de l’amour dans votre vie, c’est de votre mère, ou de votre père, ou de tel autre être cher que vous vous souvenez.

Intervention d’une auditrice : Mais c’est Dieu qui nous donne tout ce qu’il nous faut !

Swâmi Siddheswarananda : Oui, c’est ce que l’on vous a enseigné. Mais en fait on n’en a aucune preuve. Moi, je suis l’enseignement de saint Jean selon lequel Jésus a dit : « Personne ne peut voir Dieu, sauf à travers moi ». Essayez d’abord de voir Jésus et, quand vous l’aurez vu, nous pourrons discuter. […]

L’auditrice : Pourquoi ne voulez-vous pas qu’on parle de Dieu ?

Swâmi Siddheswarananda : Parce que l’on ne connaît rien de lui. Nous n’en avons aucune documentation.

L’auditrice : Mais justement, c’est ça qui est intéressant ! Il faut le chercher parce qu’on ne le connaît pas.

Swâmi Siddheswarananda : Jamais vous n’obtiendrez la rencontre. Il est bien dit dans la Bible : « Si vous le voyez, vous serez brûlés ». Pourquoi vous lancer dans une entreprise où vous ne pourrez aboutir alors que, Jésus, vous pouvez le voir ? […] C’est très commode de parler de Dieu, mais très angoissant de parler de Jésus. C’est pour cela que l’on parle davantage de Dieu. Jésus a donné une norme de vie. J’en ai parlé avec le pasteur Dominici, de Genève. […] Il me disait qu’il est très angoissant de penser continuellement à Jésus, parce que la comparaison entre sa vie et la nôtre nous fait trop clairement sentir l’état de chute où nous sommes, parce que sa vie comme la nôtre est une chose concrète, tandis que vous pouvez, si vous le désirez, écrire des volumes entiers sur Dieu, vous ne risquerez jamais d’avoir une rencontre avec lui. Parler de Dieu, c’est une évasion, tandis que parler à Jésus-Christ, c’est un contact. Sa vie devient la norme de notre vie, un miroir qui est devant nous à tout instant, et qui reflète l’idéal le plus noble, auquel nous sommes tenus de nous ajuster. […]

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

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[1] Conférence du 30 août 1953, à l’occasion de la fête de Śrī Kṛṣṇa.

 

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