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ANACHRONIQUES Printemps 2022

Par Anne-Aditi

 

5 avril

Les grands chênes s'embourgeonnent, prenant enfin couleur, du bronze qui devient or au toucher des rayons du soleil, et fend parfois le ciel bleu de ce mois d'avril.
Je me suis retranchée hors des mots, hors du temps. Juste des pensées fulgurantes, lancées à des amis, dans la tourmente de ce monde évanescent. Auront elles touché leur but ? Je l'ignore. Mais qu'importe.
Je lis. Je continue à trouver des perles de ci, de là. En ce moment je m'ennivre de mots pour oublier les maux. L'ami, Christian Bobin avec « l'Homme-Joie », nous dit : « J'ai rêvé d'un livre qu'on ouvrirait comme on pousse la grille d'un jardin abandonné. » Challenge réussi,un pur nectar et un baume pour les coeurs. Et ce passage qui me touche particulièrement : « Je sais ce que c'est maintenant, un chat : c'est quelqu'un qui ressemble à un chat, qui vient et qui vous prend le coeur »... (s'applique au chien aussi).

En cheminant je (re)découvre ces statuettes les jizô ou gizô et leur symbolique très particulière : Au Japon, on croise couramment des ensembles de ces petites statuettes en pierre dans les temples et sanctuaires ou au bord des routes. Souvent vêtues d’un bonnet et d’un bavoir généralement rouge, elles sont parfois accompagnées d’un moulin à vent coloré qui donne une touche gaie à l’ensemble. Pourtant leur signification est tout autre... Les statuettes Jizô sont avant toutes choses la représentation d’un bouddha, Boddhisatva Ksitigarbha, plus couramment dénommé Jizô Bosatsu au Japon : dédié en particulier à la protection des enfants et des voyageurs ce qui explique leur présence au bord des routes, des lieux de passage et aux carrefours auxquels on peut rattacher la symbolique du passage entre le monde réel et spirituel (souvenez-vous, l’entrée de « Chihiro » dans le monde des esprits...dans le film culte de Myiazaki) ainsi que dans les temples et sanctuaires, lieux à la frontière du sacré et du profane. Ainsi, les statues de Jizô sont disséminées un peu partout au Japon.

 

Voici Pâques et un sentiment d'allégresse me saisit. Cette période, synonyme d'ouverture et de renouveau correspond avec le retour des beaux jours. Mais aussi de la fête, celle des enfants à la recherche des œufs en chocolat cachés aux quatre coins du jardin ou de la maison (évoquant de beaux souvenirs d'enfance). De la convivialité avec les premiers barbecues...Cette année je suis gâtée avec une floraison exceptionnellle au jardin me faisant oublier les péripéties de cette campagne éleectorale. Le petit jardin zen est particulièrement magnifique, le Bouddha a reçu une nouvelle peinture après avoir été si malmené par les intempéries de l'hiver.

 

25 avril

Un point rapide de la situation : ici les vacances se terminent, la présence de notre petite fille m'a bien occupée tout ces 15 jours, donnant l'occasion à de belles promenades dès que le temps le permettait. L'une d'entre elles nous a amenées aux « landes de Cojoux », vaste plateau où se situent de nombreux monuments mégalithiques : tumulus, dolmens, menhirs... Ce site remarquable, sans égaler celui de Carnac, n'est qu'à une dizaine de kilomètres, et en terre bretonne on en a recensé de nombreux autres. Pour exemple cet incroyable Cairn sur l'ile de Gravinis, dans le golf du Morbihan : c'est un véritable joyau du néolithique, de plus de 50m de diamètre et de 6 m de haut, dont les dalles sont richement gravées. Ces édifices me fascinent en tant que témoignage de peuplades d'un passé si ancien et évoquant un mode de vie si différent du nôtre. N'y a t il pas un côté émouvant à regarder les peintures rupestres, les immenses statues de l'île de Pâques, les Bouddha du Bayon...etc ? Quelque part au tréfonds de mon être se fait entendre comme un écho de ces civilisations anciennes et de cette chaîne dont je suis un maillon, un maillon improbable qui plus est ! Cette « Grande Vie » se perpétue aussi à travers la nature entière, tel un fil se déroulant dans l'infini dont l'origine reste un mystère... 

J'écoute avec grande attention la nouvelle chronique « tradition et excellence » sur RGG web : Partha nous parle de son expérience du « Mana » ( force de vie) perçu lors de reproduction ou moulages de « Tiki » symbolisant le culte des anciens en Polynésie. Il explique qu'en faisant ce travail et par le toucher il ressentait comme un picotement, pareil à un mini courant électrique. Je veux bien le croire, car avec ma manie de collectionner les pierres que ce soient des galets roulés par les torrents de montagne, ou de diverses origines ce genre de perception ne m'est pas étrangère... Lors d'un stage d'ostéopathie dans la région de Pamier nous effectuions une ballade jusqu'à un somment dont le nom m'échappe et là j'eu l'idée de m'allonger sur une vaste pierre plate et ressentis comme une attraction étrange, comme si mon corps faisait corps avec la roche et le ciel en même temps. En ce bref instant je me suis sentie transportée au delà du temps et de l'espace, dans l'éternité. J'ai pu revivre cette sensation en plusieurs lieux, notamment dans le choeur de la petite chapelle de St Savin près de Lourdes, dans la crypte de la cathédrale de Chartres, sur un ghat à Bénarès... Toutes ces expériences me confortent dans l'idée que nous sommes « traversés » par cette force de vie, qu'elle nous « irrigue » littéralement.

 

Mai, joli mois de Mai, comme dans la chanson ! Et en Mai fait ce qu'il te plaît est ce pour cela en ce 1er Mai, fête du travail, certains se croient tout permis, du style s'en prendre aux pompiers etc... ? Les remparts traditionnels maintenant l'unité de la société se sont effondrés, et plus que jamais nous vivons une période transitoire pleine d'agitation. Après ces « élections » présidentielles l'impression de colère souterraine liée à la frustration se fait sentir de toutes parts. La menace d'une guerre, suscitée par le conflit entre l'Ukraine et la Russie qui va en s'amplifiant, ne nous impacte-t-elle pas ? N'accroit-elle pas aussi la peur dans l'esprit des gens, avec cette impression pénible d'être tirés vers un gouffre... Cet état d'esprit est des plus délétère. Que faire ? Comment se protéger, rester serein voir positif ? Nous devons plus que jamais faire appel à notre courage intérieur tel que le préconisait Swami Vivekananda.

Encore une chronique croustillante de Sadhguru : « Vous êtes une petite machine dysfonctionnelle...Il faut s'équiper pour que les choses n'aient pas trop d'impact sur vous. » Il fait référence au mode de vie moderne notamment dans les grandes villes comme New York. « Ne pas tout fermer, privilégier la lumière, le calme : on ne vit pas dans un habitat naturel...Chercher une solution de vie et non une fin. Etre conscient de tout ce qui est vivant, être en vie et se nourrir du vivant »... Ce qui me renvoie à A. David Neel qui exprimait son bonheur de vivre une vie de « sauvage », en pleine nature avec des moyens des plus basiques. Bon, nous n'aspirons certes pas à cet idéal de vie érémitique, mais cela ne donne-t-il pas matière à réfléchir ? Il poursuit : « Le problème c'est que les être humains deviennent de moins en moins actifs. Garder l'équilibre dans le système est indispensable, si vous reculez vous donnez le pouvoir à la mort. » Il préconise même qu'en cas de faiblesse ou même de maladie le meilleur remède est l'activité. Sur ce point beaucoup peuvent en témoigner. « L'activité est une solution simple pour tout, faire les choses joyeusement : sortez et jouez, vivez joyeusement ! Le problème fondamental est que vous êtes trop sérieux au sujet de votre vie : lâchez prise et la vie se passera merveilleusement bien pour vous !» Et moi ne suis-je pas en train de me prendre trop au sérieux ?

Je poursuis le voyage dans les pas d'Alexandra David Neel à travers ses correspondances avec son mari. Et là je suis propulsée littéralement sur les hauteurs des Himalaya à travers ses multiples péripéties. A l'instar de nombreux sages et saddhus elle prit refuge dans une grotte et vécut ainsi dans le dénuement le plus total. Ce fut son choix. Mais ce qui me surprend dans sa trajectoire de vie c'est son dernier voyage en Chine à l'âge de 70 ans : il fut commandité par les instances officielles françaises. Mais sur place la guerre sino-japonaise la confronta à de multiples déboires qui l'obligèrent à se replier au fin fond des montagnes pour échapper à une mort certaine. N'ayant plus aucun moyen matériel (on lui vola entre autre tout ses bagages... etc) elle dût s'abandonner entièrement au destin. Celui-ci Dieu merci, la ramena saine et sauve à la civilisation occidentale, où elle termina son existence bien remplie comme nous le savons. Cette vie pleine et passionnée me fait réfléchir sur notre destinée, où volonté et lâcher-prise se conjuguent de manière imprévisible. Au fil de mes lectures autobiographiques je ne peux que m'émerveiller des destinées de ces grandes âmes guidées très sûrement par leur karma. (karma signifiant action). Et que la vie en pleine nature mène à une vie de reconnexion à notre nature profonde.

Les deux dernières émissions de « Sagesses bouddhistes» étaient justement consacrées à la vie d’Ermite au sein du bouddhisme, avec pour invitée Françoise Bonardel, philosophe. «La vie solitaire est une voie vers l’Eveil : les Sages et la plupart des grands maîtres en ont fait l’expérience. Ils ont été ermites. Loin des autres, loin du monde, et au sein de la nature : des conditions nécessaires mais très difficiles pour éprouver l’essentiel, toucher l’infini. » Comment et pourquoi on prend la vie d’ermite, et quelles sont les vertus de la solitude ? Elle nous donne des réponses et cite des exemples d’éminents ermites (Milarepa bien sûr) qui ont laissé leurs témoignages en poésie. »

L'idée de la mort m'interpelle souvent, est ce la fin ou le début d'un chemin vers l'infini ? J'écoute ce qu'en dit François Cheng dans son ouvrage « De l'âme » : 

P.116 « Si la mort creuse un immense champ de désolation, elle ouvre en même temps une immense aire de communion, aussi réelle qu'un ciel étoilé. Communion d'âmes aimantes et aimantantes, communion des Saints : cette formule juste contient sans doute la mystérieuse clef de la vie, puisqu'au sein de cette communion sans limite et sans fin la mort s'est dissoute, abolie... » Oui pour moi les disparus continuent à vivre dans mon cœur. Et ce poète-philosophe de poursuivre :

« Il arrive qu' au cœur du désert ou à l'horizon d'une plaine se dresse un arbre seul. Cela suffit aux nomades que nous sommes pour que nous ne nous sentions plus seuls, pour que la création ne nous semble plus vaine ... Dans la vallée qui a sombré dans le silence un oiseau chante, et voilà que nous sommes envahis par une indicible nostalgie. Sur le mont dénudé par le vent, une fleur sauvage nous salue, et voilà que nous tombons à genoux de reconnaissance. Ici notre âme nous invite à consentir au mystère... »

Mystère ? Ecoutez la suite :

« Nous devons être assez humble pour reconnaître que tout, le visible et l'invisible, est vu et su par Quelqu'Un qui n'est pas en face, mais à la source. Seul celui qui jouit du « voir total » jouit du vrai savoir et du vrai pouvoir. C'est grâce à cela que l'univers vivant est « en devenir » et que nous le sommes aussi. Un chant surgi de ma mémoire me vient aux lèvres, je vous le dédie :

 

 

« Un iris

Et tout le crée justifié

Un regard,

Et justifiée toute la vie.» 

 

 

A l'Iris une de mes fleurs préférées ! Et en ce printemps le petit jardin zen est de toute beauté...Gratitude