La mort : aubaine des vivants
par Jean Marie Pradier
Le droit ancien désignait par le mot aubene, devenu aubaine, l’héritage inattendu venu d’un étranger. Ce gain inespéré était pour les vivants relance de la chance, ouverture à de nouvelles opportunités. Ainsi en va-t-il de la mort de nos congénères, véritable aubaine à condition de savoir la recevoir. Le faisceau d’émotions qu’engendre la présence d’un cadavre, à découvert ou placé dans un cercueil, habillé ou non d’un linceul, pour polymorphe, composite, paradoxale qu’elle puisse être, éveille, anime et sème des traces dans la mémoire. Humus qui nourrit l’entièreté de l’être et fabrique présent et futur. Ainsi le moment des funérailles vient-il rythmer l’élan vital et lui redonner souffle. Au moment où s’effritaient les grandes institutions religieuses sous la poussée des dogmatismes, scandales, éloge de la raison et de la science, l’ouvrage d’un pionnier de la sociologie naissante, Émile Durkheim (1858-1917) a radicalement renouvelé notre façon d’envisager ce que nous pensions être la « sur-nature ». Explorant les formes élémentaires de la vie religieuse, ce fils de Rabbin et agnostique montrait l’enracinement du sur-naturel, au plus profond de la chair vivante des humains. Célébrer la mort des autres est un art symbiotique. L’art d’entretenir notre propre vie, en ne cessant de rassembler les ressources esthétiques, spirituelles dont nous disposons pour l’accomplir.
Docteur en psychologie et docteur ès Lettres, professeur émérite de l’université Paris 8, codirecteur du Département Théâtre, il a également fondé et dirigé le groupe de recherche interdisciplinaire sur les comportements humains spectaculaires organisés (OHPB) devenu Laboratoire d’ethnoscénologie.