AUTOMNE
Soleil Intérieur
Les nuages bas défilent rapidement au dessus des toits, lâchant par moments une fine averse qui picote la peau du visage. Le vent secoue les arbres des avenues, et les dernières feuilles s’envolent comme une troupe d’oiseaux affolés. L’éclairage public s’allume. Sur le trottoir, les passants emmitouflés marchent hâtivement, contournant un groupe massif de personnes immobiles qui semblent se serrer les unes contre les autres pour faire face à la froidure. Toutes ont les yeux fixés sur une porte, celle de l’école. Et voici que celle-ci s’ouvre. Aussitôt l’atmosphère change du tout au tout. Car les enfants, joyeux et rieurs, apparaissent. Certains s’immobilisent sur le seuil avant de se précipiter vers l’adulte tutélaire qui les attend en souriant. D’autres, sac sur le dos, s’éloignent en s’interpellant gaiement. Le vacarme de la circulation, lui même, semble vouloir se faire oublier, pour laisser place à cette vie triomphante et inconsciente d’elle même. Déjà, il fait nuit !
Ainsi, rues et maisons sont le théâtre d’une sorte de lutte entre la déprime rampante du Covid, de l’automne, et l’immortel cri vers la vie. Chacun mène cet affrontement comme il le peut. Beaucoup se raccrochent à la fête de Noël qui s’annonce, aux préparatifs et cadeaux, à la joie des enfants, à la perspective des repas ou des vacances de neige…. Les municipalités ont suspendu au dessus des artères principales les traditionnelles illuminations et les magasins ont fait assaut d’imagination pour séduire les clients. Mais cet effort, chaque année recommencé, ne peut faire oublier une réalité qui se fait sentir avec insistance: le cosmos et le virus, en ce temps de l’année, invitent les habitants de nos pays du nord à vivre l’inévitable diminution.
Heureux ceux qui ont de l’amour au foyer, ou de la passion dans la vie. Mais rares sont ceux qui peuvent accepter de gaîté de cœur ce temporaire rétrécissement. Et pourtant, cette montée de l’obscurité peut être vécue comme une chance. Car elle appelle à chercher ailleurs que dans la couleur du ciel, ou dans les circonstances extérieures, les lumières qui éclairent la vie. Dans les maisons qui ont la chance de posséder une cheminée, l’époque invite à allumer un feu. Voici qu’il crépite doucement, et le rougeoiement changeant des braises attire le regard. Même si les lampes électriques sont restées allumées, la vitalité du foyer installe dans la salle de séjour un centre discret, vivant et odorant qui ne se laisse pas oublier.
Cette présence du brasier dans une cheminée de la maison est l’expression d’une réalité personnelle. Car, parmi les multiples centres d’intérêt qui, normalement, animent une vie, se trouve un Foyer, une sorte de centre divin que la Bible appelle le « Cœur profond », que d’autres nomment la « grotte du cœur ». Que l’on ait, ou non, une appartenance religieuse, ce foyer existe, souvent oublié, recélant dans ce cas quelques braises sous un monceau de cendres. Lorsqu’il est dégagé et entretenu, lorsqu’une présence sacrée anime le quotidien, le Cœur se purifie de ses cendres. C’est alors que les relations prennent une dimension nouvelle, que les activités acquièrent un surplus de sens, et que l’espoir peut rayonner. Nouveau regard, qui permet de percevoir la dimension d’Infini qui anime sans cesse la monotonie des jours.
Tout ce que l’être humain découvre à l’extérieur de lui-même, dans le macrocosme, a son correspondant à l’intérieur, dans ce microcosme qu’il est. A l’astre du jour, éclatant lors des mois d’été, mais défaillant en cette saison, peut alors se substituer la Source de la lumière intérieure. Pendant la psalmodie des Laudes, avant l’aurore, les moines chantent : « Lève toi sur le monde, Christ Jésus, lumière éternelle viens nous sauver ! ». Le croyant a le pouvoir d’appeler et de permettre à cette Lumière qui ne s’éteint pas d’éclairer sa vie.
Fr. Benoît Billot