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Vedānta 220 - Réponse au discours de bienvenue à Paramakudi - Swami Vivekananda

Réponse au discours de bienvenue à Paramakudi

Swami Vivekananda

 

Paramakudi était le premier endroit où s’arrêter après Ramnad, et il y eut là une manifestation de grande envergure, au cours de laquelle fut prononcé le discours suivant :

 

Srimat Swami Vivekananda

         Nous, citoyens de Paramakudi, prions respectueusement votre Sainteté d’accepter notre très cordiale bienvenue en ce lieu après votre campagne spirituelle couronnée de succès, et qui aura duré près de quatre ans en Occident.

         Nous partageons avec nos compatriotes les sentiments de joie et de fierté pour la philanthropie qui vous mena à assister au Parlement des Religions tenu à Chicago, et à exposer devant les représentants du monde religieux les trésors sacrés, mais cachés, de notre antique pays. Par votre vaste exposé des vérités sacrées contenues dans la littérature védique, vous avez détrompé les pensées éclairées de l’Occident quant aux préjugés qu’elles entretenaient contre notre antique foi, et vous les avez convaincues de l’universalité et de la faculté d’adaptation de ces vérités pour tous les types d’intelligences et pour toutes les époques.

         La présence parmi nous de vos disciples occidentaux est une preuve effective que vos enseignements religieux n’ont pas été compris seulement en théorie, mais ont donné aussi des fruits en pratique. L’influence magnétique de votre auguste personne nous rappelle nos antiques et saints rishi qui, à travers leur réalisation du soi par l’ascèse et à leur contrôle de soi, ont été les vrais guides et les vrais précepteurs de la race humaine.

         Pour conclure, nous prions très sincèrement le Tout-Compatissant que votre Sainteté puisse être libre de continuer longtemps à bénir et spiritualiser l’ensemble de l’humanité.

         Avec nos respects les meilleurs,

         nous vous prions de nous agréer comme disciples et serviteurs très dévoués et très obéissants de votre Sainteté.

           

Au cours de sa réponse, le Swami dit :

            Il est presque impossible d’exprimer mes remerciements pour la gentillesse et la cordialité avec laquelle vous m’avez reçu. Mais, s’il m’est permis de parler ainsi, j’ajouterai que mon amour pour mon pays, et spécialement pour mes compatriotes, sera le même qu’on me reçoive avec une cordialité extrême ou qu’on me chasse du pays. Car Sri Krishna dit dans la Gita que les hommes doivent travailler seulement pour l’amour du travail, et aimer pour l’amour de l’amour. Le travail qui a été fait par moi en Occident est très peu ; n’importe qui, ici présent, aurait pu faire cent fois plus de travail en Occident que celui que j’y ai fait. Et j’attends avec anxiété le jour où des pensées puissantes s’élèveront, des pensées spirituelles gigantesques, qui seront prêtes à quitter l’Inde pour aller au bout du monde enseigner la spiritualité et la renonciation, ces idées qui sont parvenues des forêts de l’Inde et appartiennent à la seule terre indienne.

            Il arrive des périodes dans l’histoire de la race humaine où, pour ainsi dire, des nations tout entières sont prises d’une sorte de lassitude lorsqu’elles constatent que tous leurs plans sont en train de leur glisser entre les doigts, que les anciennes institutions et les anciens systèmes sont réduits en poussière, que leurs espoirs sont mités, et que tout semble aller de travers. Deux tentatives ont été faites dans le monde pour fonder la vie sociale : l’une basée sur la religion, l’autre sur la nécessité sociale. L’une était fondée sur la spiritualité, l’autre sur le matérialisme ; l’une sur le transcendantalisme, l’autre sur le réalisme. L’une regarde au-delà de l’horizon de ce petit monde matériel et elle est suffisamment courageuse pour commencer à vivre là, quand bien même elle en est séparée. L’autre, la seconde, se contente de prendre position sur les choses du monde et espère y trouver une assise solide. Assez curieusement il semble que parfois le côté spirituel l’emporte, puis c’est le côté matérialiste – pareils au mouvement des vagues qui se suivent l’une après l’autre. Dans un même pays, la marée varie. Une fois c’est la marée haute des idées matérialistes qui prévaut, et tout dans cette vie – la prospérité, l’éducation qui fournit beaucoup de plaisirs, beaucoup de nourriture – est glorifié puis décline et dégénère. Avec la prospérité, toutes les jalousies et les haines innées à la race humaine sont chauffées à blanc. Compétition et cruauté sans merci deviennent le mot d’ordre du jour. Le proverbe anglais très rebattu et pas très élégant : « Chacun pour soi et au diable les derniers » devient la devise du jour. Les gens pensent alors que tout le système de la vie est un échec. Et le monde irait à sa destruction si la spiritualité ne venait pas à la rescousse et ne tendait une main secourable à ce monde en train de sombrer. Alors le monde reprend espoir et trouve une nouvelle base pour une nouvelle édification, et une autre vague de spiritualité vient, qui avec le temps s’affaisse à son tour. D’habitude, la spiritualité amène une catégorie d’hommes qui prétendent avoir l’exclusivité de tous les pouvoirs spéciaux dans le monde. L’effet immédiat en est une réaction dans le sens du matérialisme, ce qui ouvre la porte à un grand nombre de prétentions exclusives, jusqu’à ce que vienne le temps où non seulement les pouvoirs spirituels, mais encore tous les pouvoirs matériels et tous les privilèges sont concentrés entre les mains d’une poignée d’hommes ; et cette poignée, empoignant les foules par le cou, veut régner sur elles. Alors la société doit se porter secours, et le matérialisme vient à la rescousse.

            Si vous regardez l’Inde, notre terre maternelle, vous verrez que cela continue actuellement. Souhaiter la bienvenue, comme vous ici aujourd’hui, à quelqu’un qui est allé en Europe prêcher le vedanta, aurait été impossible si le matérialisme européen n’y avait ouvert la voie. En un certain sens le matérialisme est venu à la rescousse de l’Inde en enfonçant pour chacun les portes de la vie, en détruisant les privilèges de caste exclusifs, en ouvrant à la discussion les trésors inestimables qui étaient cachés dans les mains d’un très petit nombre qui en avait même perdu l’usage. La moitié a été volée et perdue ; l’autre moitié restante est entre les mains d’hommes qui, pareils à des chiens devant une écuelle, ne mangent pas eux-mêmes et ne permettent pas aux autres de le faire. D’autre part, les systèmes politiques pour lesquels nous luttons en Inde existent en Europe depuis des lustres, ont été testés depuis des siècles et se sont avérés insuffisants. L’un après l’autre, les systèmes, les institutions et tout ce qui est relié au gouvernement politique ont été condamnés comme inutiles ; et l’Europe est inquiète, ne sachant pas vers quoi se tourner. La tyrannie matérielle est prodigieuse. La richesse et la puissance d’une nation sont entre les mains de quelques hommes qui ne travaillent pas mais manipulent le travail de millions d’êtres humains. Par leur puissance, ils peuvent inonder la terre entière d’un déluge de sang. La religion et toutes choses sont à leurs pieds ; ils règnent et se tiennent au-dessus de tout.

 

Dans sa création, le Seigneur impartial a fait égale chaque particule de l’univers. Le pire, le plus démoniaque des hommes a quelques vertus que le grand saint n’a pas ; et le plus élémentaire des vers peut avoir certaines choses que le plus élevé des hommes n’a pas.

 

Le pauvre travailleur, qui à votre avis a si peu de plaisirs dans la vie, n’a pas votre intelligence, ne peut comprendre la philosophie du vedanta et ainsi de suite : comparez votre corps au sien, et vous verrez que son corps n’est pas aussi sensible à la douleur que le vôtre. Si son corps est sévèrement coupé, il cicatrise plus vite que vous, vous le voudriez. Sa vie est dans les sens, et c’est là qu’il trouve son plaisir. Sa vie est aussi une vie d’équilibre et de stabilité. Que ce soit dans le domaine matériel, intellectuel ou spirituel, la compensation qui est donnée par le Seigneur à chacun impartialement est exactement la même. Par conséquent il ne faut pas que nous pensions être les sauveurs du monde. Nous pouvons instruire le monde, lui enseigner beaucoup de bonnes choses, et nous pouvons aussi en apprendre beaucoup venant de lui. L’ensemble de la civilisation occidentale sera réduite en miettes dans les cinquante prochaines années s’il n’y a pas de fondations spirituelles. Il n’y a pas à espérer et il est complètement inutile d’essayer de gouverner le monde par l’épée. Vous constaterez que les centres mêmes d’où de telles idées de gouvernement par la force ont surgi sont les premiers centres mêmes à se dégrader, à dégénérer et à être réduit en miettes. L’Europe, centre de la manifestation de l’énergie matérielle, sera réduite en miettes dans cinquante ans si elle n’a pas souci de changer de position et de base, et de faire de la spiritualité la base de sa vie. Et ce qui sauvera l’Europe, c’est la religion des Upanishad.

 

            À côté de nos différences de sectes, de philosophies et d’Écritures, il y a une doctrine sous-jacente, commune à toutes : la croyance en l’âme de l’homme, l’atman, et cette croyance peut changer complètement la tendance du monde.

 

Chez les hindous, les jaïns et les bouddhistes – en fait partout en Inde – il y a l’idée d’une âme spirituelle qui contient toute puissance. Et vous savez très bien qu’il n’y a pas un système de philosophie en Inde qui vous enseigne que vous pouvez acquérir la puissance, la pureté ou la perfection depuis l’extérieur, mais ils vous disent tous que cette puissance, cette pureté et cette perfection par droit de naissance sont vos droits de naissance, votre nature. L’impureté est une simple surimposition sous laquelle votre nature réelle s’est retrouvée cachée. Mais votre véritable soi est déjà parfait, déjà fort. Vous n’avez besoin d’aucun concours pour vous gouverner vous-mêmes ; vous êtes déjà maîtres de vous. La seule différence est que vous le savez ou vous ne le savez pas. C’est pourquoi la seule difficulté se trouve résumée dans le mot avidya. D’où vient la différence entre Dieu et l’homme, entre le saint et le pécheur ? De l’ignorance seulement. Quelle est la différence entre l’homme le plus élevé et le ver le plus élémentaire rampant à vos pieds ? L’ignorance. Voilà ce qui fait toute la différence. Car à l’intérieur de ce petit ver rampant se niche la puissance, la connaissance et la pureté infinies – la divinité infinie de Dieu lui-même. Elle est non-manifestée ; elle devra être manifestée.

            Telle est la grande vérité que l’Inde doit enseigner au monde, puisqu’on ne la trouve nulle part ailleurs. C’est la spiritualité, la science de l’âme. Qu’est-ce qui fait qu’un homme se dresse pour travailler ? La force. La force est bonté, la faiblesse est péché. S’il y a un mot qu’on voit jaillir comme une bombe des Upanishads, éclatant comme un obus sur les masses d’ignorance, c’est le mot courage. Et la seule religion qu’on devrait enseigner est la religion du courage. Que ce soit dans ce monde ou dans celui de la religion, il est vrai que la peur est la cause assurée de la déchéance et du péché. C’est la peur qui amène le malheur, c’est la peur qui amène la mort, c’est la peur qui engendre le mal. Et quelle est la cause de la peur ? L’ignorance de notre propre nature. Chacun de nous est un héritier en puissance de l’Empereur des empereurs ; nous sommes de la substance de Dieu lui-même. D’ailleurs, selon l’advaita, nous sommes Dieu lui-même bien que nous ayons oublié notre propre nature en nous pensant comme de petits hommes. Nous sommes tombés de cette nature, et du coup nous faisons des différences : je suis un peu meilleur que vous, ou vous que moi, et ainsi de suite. Cette idée d’unité est la grande leçon que l’Inde a à délivrer, et notez bien que, quand elle est comprise, elle change complètement la face des choses parce que vous regardez le monde avec d’autres yeux qu’auparavant. Et ce monde n’est plus un champ de bataille dans lequel chaque âme serait née pour combattre chaque autre, de telle sorte que la plus forte remporte la victoire et la plus faible meurt. Il devient un terrain de jeu sur lequel le Seigneur est en train de jouer comme un enfant, et nous sommes ses partenaires, ses collègues. Ceci n’est qu’un jeu, même s’il paraît terrible, hideux et dangereux. Nous nous sommes mépris sur son aspect.

 

Lorsque nous connaissons la nature de l’âme, l’espoir vient au plus faible, au plus déchu, au plus malheureux des pécheurs.

 

Mais, déclare votre shastra, ne désespérez pas. Car, quoi que vous fassiez, vous êtes le même, et vous ne pouvez changer votre nature. La nature ne peut elle-même détruire la nature.

 

Votre nature est pure. Elle peut être cachée depuis des millions de lustres, mais elle finira par vaincre et par sortir.

L’advaita donne donc espoir à chacun et n’amène pas à désespérer. Il n’enseigne pas à travers la peur ; il ne parle pas de démons qui épient sans cesse pour vous sauter dessus si vous faites un faux pas : l’advaita n’a rien à faire avec les démons, mais il dit que vous tenez votre destin entre vos mains. Votre propre karma vous a façonné en ce corps, et personne ne l’a fait pour vous. Le Seigneur omniprésent a été caché par l’ignorance, et la responsabilité vous en incombe. Vous ne devez pas penser que vous êtes venus au monde et avez été abandonnés dans ce lieu horrible sans l’avoir choisi, mais vous devez savoir que vous avez fabriqué vous-mêmes votre corps morceau par morceau, tout comme vous êtes en train de le faire en ce moment même. C’est vous qui mangez : personne ne mange pour vous. C’est vous qui assimilez ce que vous mangez : personne ne le fait pour vous. C’est vous qui faites votre sang, vos muscles, votre corps à partir de la nourriture : personne ne le fait pour vous. Vous avez tout le temps fait ainsi. Un maillon dans la chaîne suffit à expliquer la chaîne infinie. S’il est vrai que vous fabriquez votre corps à un instant, cela est vrai pour chaque instant qui a été et qui sera. Et toute la responsabilité du bien et du mal vous incombe. Tel est le grand espoir. Ce que j’ai fait, je peux le défaire. Et en même temps notre religion ne prive pas l’humanité de la compassion du Seigneur. Elle est toujours là. D’un autre côté, le Seigneur se tient hors de ce courant prodigieux de bien et de mal. Lui l’illimité, l’à jamais compatissant, est toujours prêt à nous aider pour passer sur l’autre rive, parce que grande est sa compassion, et elle parvient toujours aux cœurs purs.

            Votre spiritualité, en un certain sens, devra former la base du nouvel ordre de la société. Si j’avais plus de temps, je vous montrerais combien l’Occident a encore plus à apprendre de certaines conclusions de l’advaita, puisqu’en ces temps de science matérialiste, l’idéal du Dieu personnel ne compte pas beaucoup. Mais pourtant, même si un homme a une forme de religion très rudimentaire et veut des temples et des formes, il peut en avoir autant qu’il lui plaît ; s’il veut un Dieu personnel à aimer, il peut trouver ici les plus nobles idées d’un Dieu personnel, comme on n’en a jamais conçu ailleurs dans le monde. Si un homme veut être rationaliste et satisfaire sa raison, c’est aussi ici qu’il peut trouver les idées les plus rationnelles de l’Impersonnel.

 

 

 


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