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Vedānta 221 - Swami Ritajananda - Chapitre 8 de la Bhagavad Gītā

 

 

SWAMI RITAJANANDA

Douzième cours sur la Bhagavad Gita

le 18 mars 1971[1] (extraits)

 

 

 

Le huitième chapitre s’appelle akṣara brahman yoga. Brahman est la réalité suprême, et akṣara signifie impérissable. Vous pouvez vous demander alors s’il y aurait un brahman périssable. Brahman a deux aspects, l’un périssable, l’autre impérissable. Avec notre corps, nous sommes l’aspect périssable, mais en nous-mêmes, intérieurement, il y a l’aspect impérissable. Kṛṣṇa en reparlera dans le treizième dialogue, lorsqu’il parlera du champ et du connaisseur du champ.

Il y a déjà là un enseignement : le vedānta ne dit pas qu’il y a des choses à accepter et d’autres à rejeter ; tout doit être accepté. Cela peut vous sembler étrange, mais c’est ainsi, nous devons tout accepter, le bien comme le mal, car tous deux appartiennent à brahman.

Les êtres humains ne sont pas permanents, ils sont éphémères, ils doivent quitter leur corps.

Pour parvenir à l’adoration, on doit connaître les deux aspects, l’aspect transcendantal de la réalité, et l’aspect périssable, c’est-à-dire l’aspect de l’univers manifesté.

Le huitième dialogue ramène constamment notre attention vers le Seigneur. Une attention constamment fixée sur le Seigneur est la forme la plus importante de la discipline dévotionnelle. On a beau aller à l’église, faire le culte, y passer beaucoup de temps, ce n’est pas suffisant : on doit vivre constamment, constamment dans la présence du Seigneur. Si nous ne le faisons pas, nous ne tirerons aucun bénéfice de nos actions dévotionnelles. Kṛṣṇa le répète plusieurs fois : « Pense à moi constamment, médite sur moi sans cesse ».

La pratique de la méditation aide à la concentration. Pour cela, on doit arrêter le mental errant, les pensées éphémères et les expériences désagréables. Vous pourriez dire : « Mais le salut ne m’intéresse pas, ma vie terrestre me suffit, pourquoi devrais-je méditer ? » Or à quoi passons-nous notre vie ? Nous parlons, sinon nous pensons. Si nous n’avons personne avec qui parler, nous pensons, c’est-à-dire encore nous nous parlons. C’est continu, ça n’arrête pas. Et ce n’est pas toujours agréable. Par moments, des expériences du passé remontent, nous pouvons même être tentés de pleurer alors même que, pourtant, rien ne nous est arrivé, c’est notre pensée qui a recréé ces mauvaises expériences, ces souffrances, qui peuvent nous mettre dans un état d’angoisse très pénible.

Tout cela est dû à notre pensée or, si notre pensée devient notre ennemie, nous devons l’écarter, la remplacer. Comment ? Par la méditation. En répétant le saint nom du Seigneur, je m’habitue à y penser. Plus je le répète, plus je peux échapper à de nombreux chagrins, à de nombreuses souffrances. Mais, à cause de mon ignorance, je ne le fais pas, je ne développe pas cette habitude.

 

 

 

 

Après avoir parlé de cette question, le huitième dialogue traite un autre sujet important : la mort. Lorsque la pensée de la mort advient, on peut être très triste, parfois trop triste, à cause de la peur : qu’arrive-t-il après la mort ?

Toutes les religions posent cette question. Śrī Kṛṣṇa reprend l’ancienne tradition de l’Inde. Les hindous ne pensaient pas alors comme nous pensons aujourd’hui. On enseignait, alors, qu’après avoir quitté ce monde, nous prenons un chemin qui varie selon notre mérite. Ce n’est donc pas la fin, nous devrons revenir dans le monde. Beaucoup d’entre nous aimeraient revenir, parce que leur vie a été pleine de joie ou, plus communément, parce qu’il y a beaucoup de choses qu’ils n’ont pas vues ou entendues et qu’ils aimeraient voir ou entendre. Ni les Upaniṣad, ni les Veda ne contredisent un tel espoir, un tel désir : vous pouvez revenir autant que vous le voulez.

Mais toute réaction laisse une impression. Nous avons un corps subtil, invisible, sous le contrôle complet de notre mental, qui est très sensible aux impressions reçues. Pareil à une sculpture d’argile qui n’est pas encore sèche, sitôt touché il est impressionné et porte ainsi la trace de toutes nos expériences.

Ces impressions sont responsables de notre relation avec le monde, de la variété de nos réactions en fonction de nos expériences. Nous vivons avec tout cela, mais lorsque nous quittons ce monde, ce n’est que le corps physique qui est quitté, tandis que le corps subtil, lui, n’est jamais quitté tant qu’il n’est pas complètement dépouillé de toutes les impressions. Qu’arrive-t-il alors ? Le corps subtil tombe à son tour mais, derrière, à l’intérieur, il reste autre chose, qui est éternel, toujours vivant, qui est là. Un jour, nous parviendrons à la connaissance de cet ātman, de brahman, du Seigneur qui est en nous.

 

 

« Arjuna dit : Qu’est-ce que brahman ?
Qu’est-ce qu’adhyātma ?
Qu’est-ce que le
karma, ô Puruṣottama ?
Qu’est-ce qui est appelé
adhibhūta ?
Qu’est-ce qu’
adhidaiva ?
Qui est l’adhiyajña (Celui qui soutient les sacrifices) et comment est-Il dans le corps, ô Madhusūdana ?
Et comment Te révèles-Tu à l’heure du départ à ceux qui ont la maîtrise de soi ? »
(VIII, 1-2)

 

 

Dans plusieurs de ces mots, on trouve « adhi » qui désigne ce qui demeure en tant que substrat, ce qui est derrière toute chose. C’est nécessaire, il n’y a rien sans brahman, tout est brahman. Derrière toute chose, brahman existe, en tant que substrat, mais nous ne voyons que ce qui est par-dessus.

« Tout ce qui est périssable est adhibhūta. Ce qui est puruṣa est adhidaiva. Et Moi-même, ici dans le corps, Je suis adhiyajña, ô Arjuna ! »
(VIII, 4)

Le mot puruṣa désigne ce qui emplit le corps, ce qui demeure dans le corps. On l’appelle l’âme universelle, car le vedānta n’accepte pas l’idée que chacun soit une âme séparée, un ātman séparé. Je vous ai donné plusieurs fois cet exemple : nous sommes comme d’innombrables pots plongés dans un grand lac ; tous ces pots contiennent la même eau et, pourtant, chaque pot est séparé et donc différent mais, en même temps, nous sommes un puisqu’en chacun de nous le Seigneur est présent.

Śrī Kṛṣṇa a répondu à toutes les questions posées par Arjuna, sauf à celle-ci : comment le Seigneur se révèle-t-il à l’heure du départ ?

 

« Celui qui, à l’heure du départ, quitte son corps en ne pensant qu’à Moi, celui-là sans aucun doute atteint l’état de Mon Être. » (VIII, 5)

 Tout le monde ne parvient pas à la libération en cette vie, mais c’est possible d’y parvenir en quittant notre corps. On doit développer l’habitude de penser au Seigneur constamment sinon y penserons-nous subitement, au dernier moment ? L’ultime pensée n’arrive pas ainsi.

« Ô fils de Kuntī, quel que soit l’objet auquel un homme pense en quittant son corps, il l’atteint étant absorbé dans la pensée de cet objet. » (VIII, 6)

Apprenons que notre pensée dirige notre vie, maintenant et après notre mort. Ce que nous pensons, nous l’atteindrons. Un homme qui veut devenir riche devra revenir dans le monde chercher sa richesse. Tous les attachements nous ramènent sur cette terre. Si nous avons des désirs à satisfaire, nous reviendrons dans le monde, nous ne serons pas libérés. La libération n’est atteinte qu’en pensant uniquement au Seigneur.

« Pense donc à Moi sans cesse et, ton mental et ton intelligence entièrement consacrés à Moi, combats ! Et certainement tu viendras à Moi. » (VIII, 7)

 

Frère Laurent de la Résurrection[2] disait « qu’il était bien plus uni à Dieu quand il accomplissait ses tâches quotidiennes que quand il les quittait pour faire ses exercices de retraite ; que notre sanctification dépendait non du changement de nos œuvres mais de faire pour Dieu ce que nous faisons ordinairement pour nous-mêmes ; que c’était pitié de voir combien de personnes s’attachaient à de certaines œuvres qu’elles ne faisaient que fort imparfaitement en prenant toujours les moyens pour la fin ». Frère Laurent a reçu la sagesse directement du Seigneur. Il n’a pas lu la Bhagavad Gītā, mais il parle de ce qui s’y trouve. Les conseils spirituels n’appartiennent pas à un peuple ou un groupe précis. N’importe qui, dans n’importe quelle ville ou n’importe quelle ambiance peut recevoir cette sorte de connaissance.

Accomplir tous nos devoirs et garder notre pensée fixée sur le Seigneur. Au lieu de passer sa vie à jouir de ce qui a peu de valeur, il vaut mieux pratiquer et développer l’habitude de la méditation et de la communion constante avec le Suprême.

Pourquoi devons-nous accomplir nos devoirs ? Nous ne pouvons pas y échapper, puisque nous sommes en vie, puisque nous avons un corps. En accomplissant notre devoir, nous purifions notre esprit.

« Un homme pratiquant la méditation constante avec son mental uni au Suprême, sans errance vers rien d’autre, un tel homme atteint le Seigneur suprême et divin, ô Pārtha ! » (VIII, 8)

Le yoga nous demande de ne pas laisser errer notre mental vers d’innombrables idées, car cette errance empêche la concentration. Et la méditation purifie nos impressions.

« Celui qui, à l’heure du départ, le mental stabilisé par la ferveur de la dévotion et la pratique du Yoga, ayant le prāṇa fortement fixé entre les sourcils, médite sur l’Omniscient, l’Ancien, le Seigneur de l’univers, plus subtil que le subtil, soutien de tout, dont la forme est inconcevable, Seigneur suprême resplendissant comme le soleil par-delà les ténèbres, celui qui médite ainsi parvient au Seigneur suprême et divin. » (VIII, 9-10)

Ces deux versets rassemblent plusieurs idées : le Seigneur inconcevable, inaccessible à notre pensée ; et le Seigneur comme un être du monde, tel Kṛṣṇa ou le Seigneur Jésus. Kṛṣṇa dit : pensez à moi, cela vous aidera. On peut certes méditer sur une fleur, mais entre une rose et un saint, il y a une grande différence : la rose est belle, elle manifeste la présence du Seigneur, mais elle n’a pas une vie pareille à celle d’un maître spirituel, qui parle, qui clarifie les doutes, qui est plus proche de nous par sa raison, ses sentiments, son appréciation.

La Bhagavad Gītā est un condensé d’innombrables systèmes de pensée, dont le yoga. Un yogi a une grande maîtrise de son corps, de ses sens, de son intellect, de son mental, et de son prāṇa. Swâmi Turîyânanda, à l’heure de sa mort, a décrit le départ du prāṇa de son corps : il a quitté mes pieds, il monte à mes genoux, il est dans mes jambes, et ainsi de suite tant qu’il a pu parler.

Le yogi se retire quand il le veut. Je pourrai vous citer des noms. Plusieurs ont dit, quelques mois ou quelques jours auparavant, qu’ils quitteraient ce monde à telle date. Bhīṣma, le grand guerrier du Mahābhārata, le corps percé d’innombrables flèches, disait qu’il n’était pas l’heure pour lui de mourir, qu’il devait quitter son corps lorsque le soleil commencerait son voyage au nord. Le jour venu, il a quitté son corps, volontairement, non pas avec une drogue mais par la pensée, avec maîtrise, consciemment, l’esprit fixé sur le Seigneur suprême.

Dans la Bhagavad Gītā, on trouve, de temps en temps, des versets entiers des Upanisad. Dans la Śvetāśvatara upaniṣad est décrite l’expérience mystique des grands voyants, qui stabilisent leur mental par la force de la dévotion et la pratique du yoga.

 

           

 

           

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[1]De 1968 à 1975, Swâmi Ritajananda donnait un cours, tous les quinze jours, au 6 place des Etats-Unis, dans la maison où les Legget reçurent Swâmi Vivekânanda lors de son séjour à Paris en 1900.

[2] Frère Laurent de la Résurrection (1614-1691) de l’Ordre du Carmel, contemporain de Fénelon, qu’il inspira.

 

 

Vedānta 221 - Mars 2021

  


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