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Vedānta 221 - Journal de voyage - Vivekananda

Considérations sur les navires

Quelle merveilleuse chose qu’un navire ! Vue du rivage, la mer qui semble si redoutable, la mer vers laquelle le ciel se penche et rencontre, la mer sur laquelle le soleil se lève lentement et dans laquelle il sombre en retour, la mer dont le moindre air renfrogné cause un tremblement intérieur, la mer a été transformée par les navires en « autoroute » et la moins chère de toutes les routes.
Qui a inventé les bateaux ?
Personne en particulier. C’est-à-dire, comme toutes les machines indispensables aux hommes — dont ils ne sauraient se passer un seul instant, et en vue desquelles, par association et ajustement, toutes sortes d’usines ont été construites— le navire est aussi le résultat d’une main-d’œuvre conjointe.

 

Prenez par exemple la roue, c’est vraiment indispensable ! Du chariot à bœufs grinçant au Char de Jagannath, du rouet aux machines prodigieuses des usines, partout se trouve une utilisation de la roue. Qui a inventé la roue ? Personne en particulier, c’est-à-dire tous ensemble. L’homme primitif avait l’habitude de faire tomber des arbres avec des haches et faire rouler de grands troncs le long des plans inclinés ; de degré en degré, ils ont été coupés en forme de roues pleines, et peu à peu les moyeux et les rayons de la roue moderne sont devenus en vogue. Qui sait combien d’années il a fallu pour faire ça ? En Inde, toutes les étapes successives de cette amélioration sont conservées. Quelle que soit leur amélioration ou leur transformation, on trouvera toujours des hommes pour occuper les étapes inférieures de l’évolution, et par conséquent toute la série est préservée.
Tout d’abord un instrument de musique a été formé avec une corde fixée à un morceau de bambou. Peu à peu, on en est venu à le jouer avec un archet en crin de cheval, et le premier violon a été fait ; puis il a subi diverses transformations, avec différentes sortes de cordesen boyaux et l’archet a également connu différentes formes et noms, jusqu’à ce qu’enfin la guitare très finie et le sarang[1] etc, viennent à l’existence.

Mais malgré cela, les cochers musulmans jouent toujours minable d’un instrument brut fait d’une pipe en bambou fixée à un pot de terre avec un archet en crin de cheval, pour chanter l’histoire de Majwar Kahar tissant son filet de pêche, n’est-ce pas ? Allez dans les provinces du centre, et vous trouverez encore maintenant des roues pleines roulant sur les routes, même si cela prouve une intelligence lourde de la part des gens, en particulier aujourd’hui avec les pneus en caoutchouc.

Dans des temps très anciens[2], c’est-à-dire l’âge d’or, quand les rapports ordinaires étaient sincères et véridiques au point de ne pas se couvrir le corps par peur d’hypocrisie –l’extérieur rendu différent de l’intérieur – ils ne se mariaient pas de peur de devenir égoïstes, et bannissant toutes idées de distinction entre le meum et le tuum, ils avaient l’habitude de considérer la propriété des autres « comme de simples mottes de terre » grâce à la force des matraques et des pierres, etc ; en ces temps bénis, pour voyager sur l’eau, ils construisirent des canots et des radeaux et ainsi de suite, en brûlant l’intérieur d’un arbre ou en attachant ensemble quelques rondins d’arbres. N’avez-vous pas vu des catamarans le long de la côte maritime de l’Orissa à Colombo ? Et vous avez sans doute remarqué que ces radeaux vont en haute mer. Vous avez là les rudiments de la construction navale.

Il y a successivement :

  • le bateau des bateliers du Bangladesh : à son bord, vous devez invoquer les cinq saints patrons de la rivière pour votre sécurité ;
  • le « houseboat » habité par les bateliers de Chittagong, qui, par vent fort, amène son timonier à déclarer son incapacité à contrôler la barre, alors tous les passagers sont invités à invoquer en dernier recours les noms de leurs dieux respectifs ;
  • le grand bateau plat avec deux yeux fantastiques en laiton à la proue, manœuvré par des rameurs en position debout ;
  • le bateau du marchand Shrimanta[3] en d’autres termes le Gangasagar – bien recouvert, avec un plancher de bambous intercalés et contenant dans sa cale des rangées de pots remplis d’eau de Gange (délicieusement fraîche, pardon, faites une visite à bord du Gangasagar en plein hiver et avec le vent froid du nord, vous perdrez tout plaisir à une boisson rafraîchissante) ;
  • le petit bateau qui emmène chaque jour les Bengalis à leur bureau et les ramène à la maison : il est supervisé par les bateliers de Bally[4], très experts et intelligents – à peine voient-ils un nuage au loin, vers Konnagar, qu’ils mettent leur bateau en sécurité ! Ces bateaux passent maintenant entre les mains des hommes forts de Jaunpur qui parlent un dialecte particulier. Votre Mahant Maharaj leur a ordonné par plaisir d’attraper un héron qu’il a malicieusement grimé comme « Bakâsur [5]». Cela les a rendus désespérément perplexes et ils ont balbutié « Monsieur, s’il vous plaît, où sommes-nous pour hériter de ce démon ? C’est une énigme pour nous » ;
  • le gros et lent bateau (cargo) surnommé « Gâdhâ (âne) » en bengali, qui ne va jamais droit, mais toujours de côté ; et aussi les grands voiliers, comme la goélette, de un à trois mâts, qui importent des quantités de noix de coco, dattes et poissons séchés de Ceylan, des Maldives, ou d’Arabie ; Tous ceux-ci et bien d’autres encore trop nombreux pour être mentionnés ici représentent le développement ultérieur de la construction navale.

 

La navigation à voile dans la guerre

Diriger un navire au moyen de voiles est une merveilleuse découverte. Quelle que soit la direction d’où le vent souffle, une manipulation intelligente des voiles permet au navire d’atteindre sa destination. Cela prendra plus de temps avec un vent contraire. Un voilier est un beau spectacle, et ressemble de loin à un grand oiseau avec plusieurs ailes et qui descend du ciel. Toutefois, les voiles ne permettent pas à un navire de se diriger droit devant, et si le vent est un peu contraire, il doit prendre une trajectoire en zigzag. Mais s’il y a une parfaite accalmie, le navire est impuissant et doit affaler les voiles et se tenir immobile. Dans les régions équatoriales, cela arrive souvent, même maintenant. A l’heure actuelle, les voiliers sont rarement en bois et pour la plupart en fer. Il est beaucoup plus difficile d’être le capitaine ou le marin d’un voilier que d’un bateau à vapeur, et personne ne peut être un bon capitaine dans un voilier sans expérience. Connaître la direction du vent à chaque étape et être sur ses gardes contre les risques de danger longtemps auparavant, ce sont les deux qualifications indispensables sur un voilier, plus que pour un bateau à vapeur. Un bateau à vapeur est dans une large mesure sous contrôle humain – les moteurs peuvent être arrêtés en un instant. Il peut être manœuvré en avant, ou en arrière, sur le côté ou n’importe quelle autre direction souhaitée, en un temps très court, alors que le voilier est à la merci du vent. Au moment où les voiles sont affalées ou la barre tournée, le navire peut heurter un banc ou un rocher sous-marin ou entrer en collision avec un autre navire. Les voiliers transportent aujourd’hui très rarement des passagers, sauf les coolies. Ils transportent généralement des marchandises, et aussi de la marchandise de peu de valeur, comme le sel, etc. Les petits voiliers comme la goélette font du commerce sur la côte. Les voiliers ne peuvent pas se permettre d’utiliser des bateaux à vapeur pour les remorquer le long du canal de Suez et dépenser des milliers de roupies en péage, aussi ils vont en Angleterre en six mois en contournant l’Afrique.

En raison de tous ces inconvénients des voiliers, dans le passé la guerre navale était une affaire risquée. Un léger changement du sens du vent ou des courants océaniques décidait du sort d’une bataille. Ces navires en bois, prenaient fréquemment feu, et il doit être maîtrisé. Leur construction était également d’un autre type ; une extrémité était plate et très haute, avec cinq ou six ponts. Sur le pont le plus haut à une extrémité, il y avait une véranda en bois, dans laquelle se trouvaient la chambre et le bureau du commandant et de chaque côté se trouvaient les cabines des officiers. Puis il y avait un grand espace ouvert, à l’autre extrémité où se trouvaient quelques cabines. Les ponts inférieurs comportaient également des salles couvertes similaires, l’une sous l’autre. Dans le pont ou la cale inférieure se trouvaient les cabines et la salle à manger des marins, etc. De chaque côté des ponts se trouvaient des canons, leurs fûts dirigés à travers des rangées d’ouvertures dans les parois des navires ; et des deux côtés étaient des tas de boulets de canon (et des sacs de poudre en temps de guerre). Tous les ponts des anciens armements avaient des toits très bas et il fallait baisser la tête en se déplaçant. C’était alors une difficile affaire que d’obtenir des marins pour la guerre navale. Le gouvernement avait l’ordre permanent d’enrôler les hommes par la force ou par ruse partout où ils pouvaient être trouvés. Les fils étaient violemment arrachés à leurs mères, et les maris à leurs femmes. Une fois montés à bord du navire, (les pauvres gars ne l’avaient peut-être jamais fait de leur vie), ils recevaient l’ordre de monter aux mâts ! Et si par peur ils ne réussissaient pas à exécuter l’ordre, ils étaient fouettés. Certains mourraient aussi sous l’épreuve. Ce sont les hommes riches et influents du pays qui ont fait ces lois, ce sont eux qui s’appropriaient les avantages du commerce, du pillage, ou de la conquête de différents pays, et les pauvres devaient simplement verser leur sang et sacrifier leur vie — comme cela a été la règle tout au long de l’histoire du monde ! Aujourd’hui, ces lois n’existent plus, et le mot « pressgang »[6] ne transmet plus un frisson au sein de la paysannerie et des pauvres. Aujourd’hui, il s’agit d’un service volontaire et de nombreux jeunes criminels sont formés comme marins pour la guerre, au lieu d’être jetés en prison.

La navigation à vapeur

La puissance de la vapeur a révolutionné tout cela, et les voiles sont devenues de nos jours des ornements presque superflus. Les navires dépendent très peu des vents, et il y a beaucoup moins de danger de coup de vent etc. Ils ont seulement à faire attention à ne pas heurter les rochers sous-marins. Et les armements de guerre aujourd’hui sont totalement différents de ceux du passé. En premier lieu, ils ne ressemblent pas du tout à des navires, mais plutôt à des forteresses de fer flottantes de dimensions variables. Le nombre de canons a également été fortement réduit, mais par rapport aux canons-tourelles modernes, ceux du passé étaient de simples jeux d’enfant. Et la vitesse de ces armements maritimes ! Le plus petit d’entre eux sont les torpilleurs ; il y en d’autres un peu plus grands pour capturer les navires marchands de l’ennemi, et les plus grands sont les moyens lourds d’une véritable guerre navale.

Durant la guerre civile américaine, le parti unioniste a fixé des rangées de rails de fer contre les parois extérieures d’un navire en bois afin de les protéger. Les boulets de canon de l’ennemi, frappant contre, étaient repoussés sans détériorer le navire. Après cela, en règle générale, les parois des navires ont commencé à être revêtues de fer, de sorte que les boulets hostiles ne pouvaient pas pénétrer dans le bois. Le canon du navire a également commencé à s’améliorer — des canons de plus en plus gros ont été construits et le travail de déplacement, de chargement et de tir en est venu à être exécuté par des machines, au lieu de manuellement. Un canon que même cinq cents hommes ne peuvent pas bouger d’un pouce, peut maintenant être tourné verticalement ou horizontalement, chargé et tiré par un petit garçon appuyant sur un bouton, et tout cela en une seconde ! La paroi de fer des navires a commencé à augmenter en épaisseur, et les canons ont également été fabriqués avec la puissance du tonnerre. À l’heure actuelle, un navire de combat est une forteresse avec des parois d’acier, et les canons sont presque comme la mort elle-même. Un seul coup suffit pour détruire le plus grand des navires en fragments. Mais cette « chambre nuptiale du fer » qui se déplace en dansant sur soixante-dix mille tourbillons pareils à des montagnes [le père de Nakindar[7] n’a jamais osé en rêver, dans les hauteurs de « Sâtâli Hill »], même ce navire a mortellement peur des torpilles ! La torpille est un tube un peu en forme de cigare, tirée sur un objet et elle se déplace sous l’eau comme un poisson. Dès qu’elle touche son objectif, les matériaux hautement explosifs qu’elle contient, explosent alors avec un bruit terrible, et le navire sous lequel cela se déroule revient à son état d’origine, c’est-à-dire une partie en fragments de fer et de bois, et une partie en fumée et en feu ! On ne trouve aucune trace des hommes qui sont pris dans l’explosion de la torpille - le peu qu’on trouve, est quasiment réduit à un état de viande hachée ! Depuis l’invention de ces torpilles, les guerres navales ne peuvent pas durer longtemps. Un ou deux combats, et une grande victoire, ou une défaite totale, cela est obtenue. Toutefois, avant l’introduction de ces bâtiments de guerre, la perte massive d’hommes des deux camps dans un combat naval a été fortement falsifiée dans les faits.

Si une fraction de la volée de balles déchargée, au cours d’un combat sur le terrain, par des canons et des fusils, sur les adversaires de chaque armée ennemie atteignait son but, alors les hommes des deux armées rivales seraient tués en deux minutes. De même, si seulement un des cinq cents coups de feu tirés à partir d’un navire de combat en action frappait sa marque, alors aucune trace ne serait laissée des navires de chaque côté. Mais la merveille tient au fait que plus les armes à feu et les fusils s’améliorent en qualité, plus ces derniers sont allégés, plus la poudre est fine dans leurs barils, plus la gamme augmente, plus les machines multiplient la quantité du chargement, et plus le taux de tir s’accélère – plus ils semblent manquer leur but ! Armés du mousquet à canon bizarrement long à l’ancienne — soutenu obligatoirement sur un support en bois à deux pattes tout en tirant, et enflammé en y mettant le feu et en soufflant à l’intérieur — les Barakzais et les Afridis[8] peuvent tirer avec une précision infaillible, tandis que le soldat moderne formé avec les mitrailleuses très complexes de l’époque actuelle tire 150 balles en une minute et cela ne sert qu’à chauffer l’atmosphère ! Les machines en petite proportion, c’est bien, mais trop de celles-ci détruit l’initiative de l’homme et en fait une machine sans vie. Les hommes dans les usines font le même travail monotone, jour après jour, nuit après nuit, année après année, chaque équipe faisant spécialisée dans une tâche – comme la confection des têtes de broches, l’unification des extrémités des fils, ou le fait de se déplacer d’avant en arrière sur le métier à tisser – cela pendant toute une vie. Et le résultat est que la perte de cet emploi spécialisé signifie la mort pour eux – ils ne trouvent pas d’autres moyens de vivre et de meurent de faim. A faire un travail de routine comme une machine, on devient une machine sans vie. Pour cette raison, un maître d’école, ou un commis, pendant toute une vie, la termine en devenant un imbécile prodigieux.

La navigation marchande et de ligne

La forme des navires marchands ou de ligne est d’un autre type. Bien que certains navires marchands aient été construits en temps de guerre de manière à pouvoir facilement être équipés de quelques canons et chasser les navires marchands ennemis non armés – ils obtiennent pour cela une rémunération de leurs propres gouvernements – en général ils diffèrent grandement des navires de guerre. Aujourd’hui ce sont surtout des navires à vapeur, en général si gros et si coûteux qu’ils sont rarement la propriété d’individus, mais d’entreprises. Parmi les sociétés de transport pour le commerce indien et européen, la compagnie P&O est la plus ancienne et la plus riche, puis vient la BISN et il y en a beaucoup d’autres. Parmi les compagnies étrangères, les plus célèbres sont les Messageries Maritimes (France) la Lloyd (Autriche / Allemagne) la Rubattino Company (Italie). Les navires de ligne de la Compagnie P&O sont généralement considérés comme les plus sûrs et les plus rapides. La nourriture à bord des Messageries Maritimes est excellente.

 Reprise du récit

Cette fois nous sommes partis pour l’Europe au moment où P&O et Messageries Maritimes avaient fermé les réservations pour les passagers « indigènes » par peur d’être infectés par la peste. Il existe une loi du gouvernement indien selon laquelle aucun « indigène » de l’Inde ne peut aller à l’étranger sans un certificat du Bureau de l’Emigration. L’objectif est de s’assurer que personne ne l’incite à aller dans un pays étranger pour être vendu comme esclave ou enrôler comme coolie, mais qu’il y va de son plein gré. Ce document écrit doit être présenté avant de monter à bord. Cette loi resta longtemps silencieuse pour la classe supérieure indienne se rendant à l’étranger. Maintenant, en raison de l’épidémie de peste, cela a été relancé, de sorte que le gouvernement est informé de la sortie de chaque « indigène ». Eh bien, dans notre pays, nous entendons beaucoup parler de certaines personnes appartenant à la noblesse et d’autres aux classes inférieures. Mais aux yeux du gouvernement, tous sont des « autochtones » sans exception. Maharajas, Rajas, Brahmanes, Kshatriyas, Vaishyas, Shudras – tous appartiennent à une seule et même classe – celle des « indigènes ». La loi, et le critère qui s’applique aux coolies, s’applique à tous les « autochtones » sans distinction. Merci à vous, ô gouvernement anglais, par votre grâce, pour un moment au moins je me sens un avec le corps entier des « autochtones ». C’est d’autant plus bienvenu, mon corps étant venu d’une famille Kâyastha[9], je suis devenu la cible d’attaques de nombreuses parties. Aujourd’hui, nous voyons sur les lèvres des gens de toutes castes en Inde qu’ils sont tous remplis de sang aryen – il y a seulement une légère différence d’opinion entre eux au sujet du pourcentage exact de sang aryen dans leurs veines, certains prétendent avoir la pleine mesure de celui-ci tandis que d’autres peuvent avoir, plus ou moins, un peu d’un autre – c’est tout. Mais avec cela, ils sont tous unanimes pour dire que leurs castes sont toutes supérieures à la Kâyastha ! On rapporte également qu’eux et la race anglaise appartiennent à la même origine, qu’ils sont cousins germains les uns des autres, et qu’ils ne sont pas « autochtones ». Ils sont venus dans ce pays pour raisons humanitaires, comme les Anglais.

Les coutumes maléfiques comme le mariage d’enfants, la polygamie, l’adoration d’images, la sutti[10], le système zenana[11], et ainsi de suite n’ont pas leur place dans leur religion – mais celles-ci ont été introduits par les ancêtres des Kayasthas, les gens de cet acabit. Leur religion suit aussi le même schéma que celle des Anglais ! Leurs ancêtres ressemblaient à des Anglais et n evivant uniquement sous le soleil tropical de l’Inde, ils sont devenus noirs ! Maintenant, venez avec vos prétentions, si vous osez ! « Vous êtes tous des autochtones », dit le gouvernement. Parmi cette masse de noir, une nuance plus profonde ou plus légère ne peut être distinguée. Le gouvernement dit : « Ils sont tous autochtones ». Il est inutile pour vous de vous habiller à la mode anglaise. Vos chapeaux européens, etc., vous serviront peu désormais. Si vous jetez tout le blâme sur les hindous, et essayez de fraterniser avec les Anglais, vous auriez ainsi droit à un plus grand partage de menottes et de coups, pas moins. Soyez béni, ô gouvernement anglais ! Vous êtes déjà devenu l’enfant privilégié de la Fortune ; que votre prospérité augmente de plus en plus ! Nous serons heureux une fois de plus de porter notre robe en tissu et la Dhoti – la robe native. Par votre grâce, nous continuerons à voyager d’un bout à l’autre du pays, tête nue, pieds nus, et nous mangerons avec cœur notre nourriture habituelle de riz et de dâl avec nos doigts, à la mode indienne. Que le Seigneur soit béni ! Nous avions été bien tentés par la mode anglo-indienne et son glamour nous a dupé. Nous avons entendu dire qu’à peine aurions-nous abandonné notre robe indigène, notre religion autochtone, nos mœurs et coutumes autochtones, que le peuple anglais nous aurait pris sur ses épaules et nous aurait transformé en lions. Et nous étions sur le point de le faire, quand est venu le coup de fouet de l’Anglais et le bruit des bottes britanniques – et immédiatement les hommes ont été saisis par la panique et se sont détournés, souhaitant le départ des anglais, désireux d’avouer leur naissance « indigène ».

Les manières anglaises que nous imitions à si grand prix,

Les bottes britanniques les ont éradiquées de nos esprits !

Bienheureux soit le gouvernement anglais ! Que leur trône soit ferme et leur pouvoir permanent. Et la petite tendance restée en moi pour faire à la manière européenne a disparu, grâce aux Américains. J’étais sérieusement ennuyé par une barbe envahissante, mais à peine ai-je jeté un coup d’œil dans un salon de coiffure que quelqu’un s’est écrié :

  • Ce n’est pas un endroit pour des gens à l’air minable comme vous.

Je pensais que peut-être le fait de me voir habillé de façon si pittoresque, vêtu d’un turban et d’un manteau Gerua[12], ce monsieur avait un préjugé contre moi. Donc je devais aller acheter un manteau et un chapeau anglais. J’étais sur le point de le faire quand heureusement j’ai rencontré un américain qui m’a expliqué qu’il était beaucoup mieux que je reste habiller avec mon manteau Gerua, les autres ne le prendraient pas mal pour l’instant, mais si je m’habillais à la mode européenne, tout le monde me chasserait. J’ai rencontré le même genre de traitement dans un ou deux autres salons. Après quoi j’ai commencé à me raser tout seul. Un jour où je mourais de faim, je suis allé dans un restaurant et j’ai commandé un plat, le serveur a répondu :

  • Nous ne l’avons pas,
  • Comment ça, … c’est là !
  • Eh bien, mon bon monsieur, en clair, cela signifie qu’il n’y a pas de place à table pour vous ici,
  • Pourquoi donc ?
  • Parce que personne ne mangera au même endroit que vous, sinon il serait rejeté.

L’Amérique a alors commencé à devenir agréable pour moi, un peu comme dans mon propre pays à cheval sur les castes. Avec ces différences de blanc et de noir, et cette gentillesse sur la proportion de sang aryen parmi les « indigènes » ! Comme il est maladroit pour les esclaves d’être trop exigeant sur le pedigree ! Il y avait un Dom[13] qui disait : « Vous ne trouverez nulle part sur terre une caste supérieure à la nôtre. Vous devez savoir que nous sommes Dom-m-m-s ! Mais voyez-vous le plaisir de celui-ci ? Les excès sur les distinctions de caste obtiennent plus de succès parmi les peuples qui sont les moins honorés de l’humanité.

Organisation à bord du navire

Les navires à vapeur sont généralement beaucoup plus grands que les voiliers. Ceux qui traversent l’Atlantique sont deux fois moins grands que le Golconda. Le navire sur lequel j’ai traversé le Pacifique depuis le Japon était également très grand. Au centre des plus grands navires se trouvent les compartiments de première classe avec un espace ouvert de chaque côté ; vient alors la deuxième classe, flanquée de l’entrepont de chaque côté. À une extrémité se trouvent les quartiers des marins et des domestiques. L’entrepont correspond à la troisième classe, dans laquelle les gens très pauvres vont en tant que passagers, comme, par exemple, ceux qui émigrent vers l’Amérique, l’Australie, etc. L’hébergement pour eux est très petit et la nourriture n’est pas servi sur des tables, mais de la main à la main. Il n’y a pas d’entrepont dans les navires qui font la navette entre l’Angleterre et l’Inde, mais ils prennent des passagers de pont. Ceux-ci utilisent l’espace ouvert entre première et deuxième classe pour s’asseoir ou dormir. Mais je n’ai pas remarqué un seul passager de pont à destination d’un long voyage. Ce n’est qu’en 1893, en route pour la Chine, que j’ai trouvé un certain nombre de chinois qui allaient comme passagers de pont de Bombay à Hongkong.

Par temps orageux, les passagers de pont endurent des inconvénients majeurs, ainsi que dans une certaine mesure dans les ports lorsqu’on décharge la cargaison. À l’exception du pont principal, tout au-dessus, il y a une ouverture carrée dans tous les autres ponts, à travers laquelle la cargaison est chargée puis déchargée, moment au cours duquel les passagers du pont sont soumis à certains problèmes. Sinon, il est très agréable d’être sur le pont, la nuit, de Calcutta à Suez, et en été à travers l’Europe aussi. Lorsque les passagers de première et deuxième classe sont sur le point de s’évanouir dans leurs couchettes à cause de la chaleur excessive, alors en comparaison, le pont est presque un paradis. La deuxième classe dans les navires de ce type est très inconfortable. C’est seulement sur la nouvelle ligne de la Lloyd naviguant entre Bergen (Allemagne) et l’Australie que les dispositions de la deuxième classe sont excellentes ; il y a des cabines, même sur le pont principal, et les préparations alimentaires sont presque équivalentes à celles en première classe du Golconda. Cette ligne accoste à Colombo sur son chemin.

Dans le Golconda il n’y a que deux cabines sur le pont principal, une de chaque côté ; l’une est pour le médecin, l’autre nous a été attribuée. Mais en raison de la chaleur excessive, nous avons dû nous mettre à l’abri sur le pont inférieur, car notre cabine était juste au-dessus de la salle des machines du navire. Bien que le navire soit en fer, les cabines des passagers sont en bois. Et il y a beaucoup d’orifices tout le long des murs en haut et en bas, pour un passage libre de l’air. Les murs sont peints avec de la peinture blanche qui a coûté près de 25 euros par cabine. Il y a un petit tapis étalé sur le sol et contre l’un des murs, deux structures sont fixées, comme un peu des lits en fer sans pieds, l’un au-dessus de l’autre et de même sur le mur opposé. Juste en face de l’entrée il y a un lavabo, au-dessus un miroir, deux bouteilles et deux gobelets pour l’eau potable. Sur les côtés de chaque lit un panier en laiton est fixé. Il peut être monté jusqu’au mur et ensuite abaissé. Les passagers y déposent leur montre et autres objets personnels importants avant de se reposer. Sous le lit inférieur, il y a la place pour ranger malles et sacs. Les dispositions en deuxième classe sont semblables, seul l’espace est plus étroit et les meubles de qualité inférieure. L’industrie du transport maritime est presque un monopole des Anglais. Par conséquent, même dans les navires construits par d’autres nations, les préparations alimentaires ainsi que les règles horaires, doivent être faits à la manière anglaise, pour convenir au grand nombre de passagers anglais à bord. Il y a de grandes différences entre l’Angleterre, la France, l’Allemagne et la Russie, en ce qui concerne la nourriture et les horaires. Tout comme dans notre pays, il y a de grandes différences entre le Bengale, le nord de l’Inde, le Mahratha[14] et le Gujarat. Mais ces différences sont très peu observées sur les navires, car là, en raison d’une majorité de passagers anglophones, tout est modelé à la façon anglaise.

L’équipage

Le capitaine est la plus haute autorité d’un navire. Autrefois, le capitaine régnait dans le navire en haute mer : punition des délinquants, pendaison des pirates, etc. Maintenant, il ne va pas si loin, mais sa parole est la loi à bord d’un navire. Sous ses ordres il y a quatre officiers[15]. Ensuite viennent quatre ou cinq ingénieurs, le chef mécanicien classé à égalité à un officier et obtenant de la nourriture de première classe. Enfin, quatre ou cinq timoniers[16] tiennent la barre à tour de rôle — ce sont aussi des Européens. Le reste est composé de serveurs, de marins et charbonniers, tous indiens et musulmans ; je n’ai vu de marins hindous que vers Bombay, dans les navires P&O. Les serveurs et les marins sont de Calcutta, tandis que les charbonniers viennent du Bengale de l’est ; les cuisiniers, des catholiques, viennent aussi du Bengale de l’est. Il y a quatre hommes de ménage, dont le travail consiste à ôter l’eau sale des cabines, préparer les bains et garder les toilettes propres et bien rangées. Les serveurs et tous les matelots musulmans ne prennent pas de la nourriture cuite par des chrétiens ; en outre, chaque jour il y a du jambon ou du bacon à bord du navire. Mais ils arrivent à s’organiser une sorte de vie privée pour eux-mêmes. Ils n’ont aucune objection à prendre du pain préparé dans la cuisine du navire, et les serveurs de Calcutta qui ont reçu la « nouvelle lumière » de la civilisation, n’observent aucune restriction en matière de nourriture. Il y a trois mess pour les hommes, un pour les serveurs, un pour les marins, et un pour les charbonniers. La compagnie prévoit un cuisinier et un serveur dans chaque mess ; chaque mess dispose d’un endroit à part pour la cuisine. Quelques passagers hindous, allant de Calcutta à Colombo, avaient pris l’habitude de cuisiner dans l’un de ces espaces après que les serveurs aient fini. Les serveurs puisent leur propre eau potable. Sur chaque plate-forme, deux pompes sont fixées contre le mur, une de chaque côté ; l’une est pour l’eau douce et l’autre pour l’eau salée et les musulmans en soutirent l’eau douce pour leur propre usage. Les hindous qui n’ont aucune objection à prendre de l’eau d’un conduit peuvent très facilement aller en Angleterre sur ces navires et ailleurs, observant toute l’orthodoxie en matière de nourriture et de boisson. Ils peuvent avoir une cuisine, de l’eau potable non touchée par quiconque, et même de l’eau de bain sans besoin d’être touchée par quelqu’un d’autre ; toutes sortes d’aliments comme du riz, des légumes, du poisson, de la viande, du lait et du ghee sont disponibles sur le navire, en particulier sur ces navires où des Indiens pour la plupart sont employés, et à qui riz, légumes, radis, chou et pommes de terre, etc. doivent être fournis tous les jours. La seule chose nécessaire, c’est l’argent. Avec de l’argent, vous pouvez agir seul n’importe où, en observant l’orthodoxie complète.

Des serveurs bengalis sont employés aujourd’hui dans presque tous les navires naviguant entre Calcutta et l’Europe. Peu à peu ils se forment en classe entre eux-mêmes. Ils ont également inventé plusieurs termes nautiques ; par exemple, le capitaine est appelé bariwallah (propriétaire) ; l’officier malim ; le mât dôl ; voile sarh ; descendre aria ; monter habish (lever) etc.

Le corps des matelots et des charbonniers a chacun à sa tête un dénommé serang, avec sous ses ordres deux ou trois tindals, viennent ensuite les matelots et les charbonniers.

Le chef des khansamas, ou garçons, est le majordome, avec au-dessus un steward européen. Les matelots lavent et nettoient le navire, jettent ou enroulent les câbles, manœuvrent les bateaux et hissent les voiles ou les affalent (bien que cela soit rare sur les navires à vapeur) et tout travail de cet ordre. Le Serang et le Tindal sont toujours en mouvement pour les regarder et les aider dans leur travail. Les charbonniers maintiennent une combustion stable dans la salle des machines ; leur devoir est de se battre jour et nuit avec le feu et garder les moteurs nets et propres. Et ce n’est pas facile de garder ce prodigieux moteur et toutes ses pièces nettes et bien propres. Le Serang et son assistant (ou frère dans le langage du matelot) sont de Calcutta et parlent bengali ; ils ont l’air de gentleman et savent lire et écrire, après avoir étudié à l’école ; ils parlent aussi un anglais acceptable. Le Serang a un fils de treize ans, qui est serveur du capitaine et attend à sa porte, à ses ordres. En voyant ces matelots bengalis, les charbonniers, les serveurs et les garçons au travail, le sentiment de désespoir que j’avais au sujet de mes compatriotes a été beaucoup atténué. Comme ils développent lentement leur virilité, avec un physique fort – comme ils sont intrépides et dociles à la fois ! Même les balayeurs ne possèdent pas l’attitude flagorneuse et grinçante propre aux « indigènes » — quelle transformation !

Les matelots indiens font un excellent travail sans murmure, et acceptent un quart de la rémunération d’un marin européen. Cela a déplu à beaucoup en Angleterre, d’autant plus que de nombreux européens perdent ainsi leurs moyens de subsistance. Ils organisent parfois une manifestation. N’ayant rien d’autre à dire contre eux — car les matelots indiens travaillent plus intelligemment que les européens — ils se plaignent seulement que par mauvais temps, quand le navire est en danger, ils perdent tout courage. Mon Dieu ! Dans des circonstances réelles, cette diffamation est jugée sans fondement. En temps de danger, les marins européens boivent beaucoup par peur et deviennent stupides et sans utilité. Les marins indiens ne prennent jamais une goutte d’alcool de leur vie, et jusqu’à présent, aucun d’entre eux n’a jamais fait preuve de lâcheté en période de grand danger. Le soldat indien fait-il preuve de lâcheté sur un champ de bataille ? Non, mais ils doivent avoir des leaders. Un de mes amis anglais, le général Strong, était en Inde pendant la mutinerie des Sepoy. Il avait l’habitude de raconter beaucoup d’histoires à ce sujet. Un jour, au cours de la conversation, je lui ai demandé comment se faisait-il que les Sepoy qui avaient assez d’armes à feu, de munitions et de provisions à leur disposition, et qui étaient également des vétérans exercés, en soient venus à subir une telle défaite. Il répondit que leurs dirigeants, au lieu d’avancer en avant d’eux, n’arrêtaient pas de crier en position arrière à l’abri :

« Combattez, braves garçons » et ainsi de suite.

A moins que le commandant n’aille de l’avant faisant face à la mort, les soldats du rang ne se battront jamais avec cœur. C’est la même chose dans tous les domaines.

« Un capitaine doit sacrifier sa tête » disent-ils.

 

Si l’on peut mettre en jeu sa vie pour une cause, c’est alors seulement que l’on peut être leader. Mais nous voulons tous être leaders sans faire le sacrifice nécessaire. Résultat nul — personne ne nous écoute !

(à suivre)

 

 

 

 

Vedānta 221 - Mars 2021

 

 

 

 

 

 

 

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[1] Instrument de musique classique indien.

[2] Swamiji décrit ironiquement l’homme primitif nu, ignorant du mariage et irrespectueux des personnes ou de la propriété.

[3] Selon Kavikankan (poète médieval) Shrimanta traversa le golfe du Bengale à l’aviron, et sur le point d’être noyé à cause d’antennes de homards autour de son bateau, il failli chavirer ! Il confondit aussi une coquille avec un petit poisson, etc.

[4] Municipalité au nord de Calcutta, située sur la rive droite du Gange.

[5] Un démon de la forme d’un grand héron, mentionné dans la Bhagavâta.

[6] Impressement ou «pressgang» : cela consistait à recruter par la contrainte, avec ou sans préavis au Royaume Uni.

[7] Conte populaire bengali.

[8] Tribus de l’Afghanistan.

[9] Les Kayasthas du Bengale sont également les Kshatriya de la région (classe guerrière) et, aux côtés des brahmanes, sont considérés comme les castes hindoues les plus élevées constituant la couche supérieure de la société hindoue.

[10] Sati ou suttee : la veuve se sacrifiait en se jetant dans le bûcher funéraire de son mari.

[11] Partie de l’habitation réservée aux femmes de la maisonnée.

[12] Gerua signifie la couleur ocre en hindi, i.e. la couleur des vêtements portés par les sages et les ermites.

[13] Caste des balayeurs.

[14] Mahratha Empire (1674 – 1818).

[15] Malims, en langue vernaculaire indienne.

[16] Sukanis, en langue vernaculaire indienne.


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