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Vedānta 222 - Vie et mort dans une seule persepctive - Swâmi Siddheswarananda

VIE ET MORT DANS UNE SEULE PERSPECTIVE[1]

 

Swâmi Siddheswarananda : C’est la croyance indienne, si on meurt au bord du Gange, à Bénarès, on aura sa libération. Encore l’autre jour j’ai reçu une lettre de l’un de mes frères swamis très aimé de nous tous qui disait : « Pourquoi restes-tu si longtemps en Occident. Si tu viens à mourir, tu ne pourras pas avoir ta réincarnation en Inde, et pas seulement en Inde (Swami rit), tu dois revenir sur les bords du Gange ».

 

 

 

 

Cette idée est associée à la mythologie indienne, l’idée que Shiva donne la libération, qu’il vient dans les derniers moments, qu’il est identique à la connaissance et que, à l’heure de la mort, Shiva répète à nos oreilles le mantra de Rama. Voyez comme les deux notions de bhakti et de jñāna sont associées : bhakti associée avec Rama et le vaishnavisme, jñāna avec la dévotion à Shiva.

Tout le monde ne peut pas aller à Bénarès pour mourir. On peut voir que dans chaque foyer il y a un pot avec de l’eau du Gange. Je n’ai jamais vu une personne mourir sans avoir absorbé quelques gouttes d’eau du Gange. C’est essentiel, pas seulement pour son salut, mais pour le bonheur de tous ceux qui existent autour d’elle, ses parents et ses proches. Mourir à Bénarès est considéré comme le plus haut état religieux que l’on peut atteindre. Quantité de vieillards y viennent et y restent, dans différentes maisons dédiées à les abriter. Ils ont décidé de venir, peut-être trente ans auparavant ! Ils sont venus, ils ne meurent pas, mais ils restent, parce que, pour eux, la distance entre la vie et la mort est effacée.

C’est une très grande idée. Pour notre part, nous avons l’impression qu’entre la vie et la mort il y a une très grande barrière. Mais en vivant en close proximity[2], dans une intimacy[3] avec la mort, une intimité très profonde, la distinction entre la vie et la mort s’efface. Mais on peut également vivre intensément : vivre intensément, c’est également mourir intensément. Nous ne vivons pas intensément.

(S’adressant à Mme S.E.) You don’t follow[4], vous n’avez pas compris ? Que n’avez-vous pas compris ?

Mme S.E. : Mourir intensément.

Swâmi Siddheswarananda : Mourir intensément pour entrer dans les profondeurs mêmes de la mort. Chez nous il y a des vies successives. Selon vous, selon le côté religieux, il y a survie. Le sens de la mort est alors effacé, vous poussez à l’extrême la mort, la mort devient la vie, et vous poussez à l’extrême la vie, la vie devient la mort. C’est quelque chose que j’ai développé en détail dans la petite brochure La méditation selon le yoga vedanta. Le danger est de rester à mi-chemin : ni la mort ni la vie. Cette idée est très fortement expliquée par Swâmi Vivekânanda. Nous devons vivre intensément, c’est-à-dire qu’à chaque instant nous devons connaître tout ce que nous faisons.

Dans la Gītā (4,17) on peut lire : « gahana kārmaṇa gati ». Expliquer la voie du karma est extrêmement difficile parce que nous ne faisons pas nos actes avec conscience. Au 31ème verset du quatrième chapitre on lit : « Ce monde n’est pas pour celui qui ne fait pas de sacrifice, qui ne fait pas de yajña ». Quelle est cette notion de yajña ? Celle de faire un acte avec une pleine conscience.

Nous ne vivons que dans un état de somnambule. Nous n’avons pas une pleine conscience de ce que nous faisons. Nous agissons sous l’ordre d’intérêts vagues. Nous n’avons pas d’opinion précise quand nous accomplissons un acte. La révélation (les Vedas, les Upanishad) nous précise que tout ce que nous faisons doit être fait avec une pleine conscience, c’est-à-dire que nous devons ramener la conscience sur le plus haut état d’incandescence, avoir une luminosité maximum – si on reste à mi-chemin, c’est les ténèbres. Or c’est extrêmement difficile. Seule une personne, telle que Ramana Maharshi, qui est dans un état pleinement conscient peut vivre en plénitude.

Quand nous vivons en l’état de plénitude, les deux bouts se touchent : la mort et la vie perdent leur signification.

Vivre longtemps en intimacy, en intimité avec la mort, c’est ce que je dis souvent lorsque je parle de flirter avec la mort, « when you begin to flirt with death »[5].

On peut voir cela en Inde : dans les grands Centres, on n’a pas tous ces vieux fidèles. Ils n’ont pas du tout peur de la mort. En vivant continuellement près des bûchers qui flambent, près de Shiva qui est le symbole même de la destruction, ils n’ont pas du tout peur. La peur a complètement disparu. Or, à chaque instant de notre vie, nous sommes conditionnés par les réflexes de la peur.

Avant-hier, nous avions ici J.L. qui a passé un mois en Inde. Elle a dit que ce qui l’avait impressionnée était de voir la manière dont on brûle les corps. On jette les corps à moitié brûlés ou complètement brûlés dans le Gange.

Ce contact avec la mort ôte la peur ; et pas seulement la peur ordinaire. Avec cette connaissance de la mort, advient une connaissance vraiment métaphysique sur l’ensemble de la vie.

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                     Vedānta 222 - Mai 2021    

                                                                                                                              ______________________________________

 

[1] À Gretz, le 28 octobre 1956.

[2] Tout proche.

[3] Intimité, familiarité.

[4] Vous ne suivez pas.

[5] Lorsque vous commencez à flirter avec la mort.

 

 


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