LE CHANT DU SANNYASIN (1)
Faire retentir ton chant ! Ce chant qui prit naissance
Dans la montagne aride ou les forêts austères,
Où ne peut pénétrer la souillure du monde,
Où nulle soif de gloire d'or ou de luxure
N'ose rompre la paix, ou science et vérité
Coulent en abondance, accompagnées de joie.
Fais résonner l'écho, courageux Sannyâsin
Répète : " Om tat sat Om!"
Debout ! Libère-toi des liens qui t'enchaînaient,
Du métal vil et sombre et de l'or flamboyant :
Haine, amour, bien et mal, dualités en cortège.
Adulé ou fouetté, l'esclave reste esclave.
L'or massif ne rend pas la chaîne plus légère.
Alors rejette-les, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
Eteins ce feu follet, cette soif de la vie ;
Sa lueur clignotante assombrit notre nuit.
Elle entraîne notre âme en la ronde sans fin
Des naissances, des morts. Ecarte les ténèbres.
Rends-toi maître de toi, tu auras tout conquis.
Ne recule jamais, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
" Qui sème aussi récolte, et la cause, dit-on,
Produit l'effet ; le bien, le bien, - le mal, le mal,
Nul n'échappe à la loi. Si tu prends une forme,
Tu seras enchaîné." C'est vrai. Mais au delà
Du nom et de la forme est l'Atman, toujours libre.
Et toi tu es Cela, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
Ils ne voient pas le vrai, ceux qui dans un vain rêve
Voient père, mère, enfants, épouse, amis. Le Moi
N'a pas de sexe ! A qui dirait-Il "père" ou "fils",
"Amis" ou "ennemi", Celui qui est l'Unique ?
Le moi est tout en tout. Il n'existe rien d'autre.
Et toi tu es Cela, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
Il n'existe qu'Un seul, Celui qui sait, le Libre,
Le Moi ! Il est sans nom, sans forme et sans souillure.
Mâyâ rêve ce rêve en Lui. C'est le Témoin.
C'est Lui qui nous paraît être nature ou âme.
Et toi tu es Cela, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
Où cherches-tu, ami ? Ni ce monde ni l'autre
Ne peut te libérer. Dans les livres, les temples,
Ta quête sera vaine. Ton bras seul t'a forcé
A plier sous le joug. Ne te lamente plus
Et quitte tous ces liens, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
Dis toujours : "Paix à tous ! Aucun être vivant
Ne doit me redouter. Qu'il plane dans l'azur
Ou qu'il rampe humblement, je suis le Moi en lui !
Je renonce à la vie, tant ici que là-bas,
Aux terres, ciels, enfers, aux espoirs et aux craintes
Brise ta chaîne ainsi, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
Ne fais plus attention si le corps vit ou meurt.
Sa tâche est faite. Il descend le cours du karma.
Il ne peut exister ni blâme ni louange
Quand celui qui critique et celui qu'on censure
Celui qu'on félicite et celui qui encense
Ne font qu'un. Ne dis rien si l'on couvre de fleurs.
Ou si l'on foule aux pieds ce cadavre illusoire.
Ainsi garde ta paix, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
La vérité n'entre jamais chez la luxure.
L'avarice ou orgueil. De mâyâ ne s'évadent
Ni celui qui possède encore quoique ce soit,
Ni celui qui retient enchaîné la colère.
Celui pour qui la femme est encore une épouse
Verra toujours la perfection lui échapper.
Renonce à tout cela, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
Ami, n'aie pas d etoit. Quel toit te retiendrait?
Ton foyer sera l'herbe et le ciel. Ton repas.
Ce qui viendra, bon ou mauvais ; rien ne t'importe.
Ce qu'on mange ou qu'on boit ne saurait polluer
Le noble Moi, qui s'est trouvé. Sois toujours libre
Comme l'eau du torrent, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
Peu d'hommes ont connu la vérité. Les autres
Riront de toi, te haïront. N'y prends pas garde.
Va librement, de l'un à l'autre, en les aidant
A sortir du manteau de Mâyâ, des ténèbres.
Sans craindre la douleur ni chercher le plaisir
Dépasse-les tous deux, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
Ainsi, de jour en jour épuisant ton Karma,
Rends ton âme à jamais libre. Plus de naissance,
Plus de moi, plus de toi, plus de Dieu et plus d'homme.
Le "Moi" est Tout, le Tout est "moi", béatitude.
Et toi tu es Cela, courageux Sannyâsin,
Répète : " Om tat sat Om!"
(1) - Ecrit à Thousand Island Park