Swami VEETAMOHANANDA
La méditation, qui se dit dhyana en sanscrit, est le maintien d’un courant stable d’une même pensée sur un objet unique à un niveau supérieur du conscient.
« Tatra pratyaya ekatanata dhyanam » « Le maintien d’une seule et même vague de pensées à un niveau de conscience déterminé, c’est cela la méditation. » La seule pensée d’un objet n’est pas la méditation. Penser n’est que la manipulation d’une série de vagues de pensées, Patanjali les appelle vrittis ou pratyayas.
Le mental a deux tendances : une tendance naturelle qui est de se déplacer constamment d’une vague de pensées à une autre. Cette tendance du mental à se saisir de différents objets est appelée dispersion – sarvarthata. Dans la seconde tendance, le mental peut se fixer sur un seul objet, se concentrer. La méditation – dhyana – est une concentration consciente du mental.
Patanjali précise cinq conditions pour qu’un aspirant puisse s’établir en dhyana :
Premièrement, il doit avoir la foi – shraddha – foi dans le but suprême de la vie et foi dans la possibilité de l’atteindre.
Deuxièmement, il doit posséder l’enthousiasme et l’énergie produits par l’exercice continu du pouvoir de la volonté.
Troisièmement, il doit être aidé par une mémoire fidèle – smriti,
Quatrièmement, par une immersion dans la concentration
Cinquièmement, par la conscience du Soi.
Pour conserver un courant constant de la même pensée, il est important de posséder une mémoire ferme. Cependant, la méditation n’est pas un processus ordinaire de mémorisation. En général nous nous souvenons de nombreuses choses. Et certaines personnes ont une merveilleuse mémoire. Mais, il est difficile de garder une mémoire ferme en établissant le mental sur une seule idée et c’est ce que nous devons développer pour méditer.
Une mémoire normale se souvient des expériences passées. Se souvenir, c’est rester dans le passé. Nous passons beaucoup de temps, dans la vie de tous les jours, soit à nous rappeler le passé, soit à imaginer l’avenir. Le présent est tellement fugace que, aussitôt qu’une expérience survient, elle fait déjà partie du passé. Méditer n’est pas se souvenir du passé, c’est maintenir la mémoire du présent. Ce n’est pas non plus essayer d’empêcher le présent de glisser dans le passé, dans l’oubli. C’est fixer le processus de la mémoire tout entière sur le moment présent.
Des aspirants regardent la représentation d’une Divinité, puis ferment les yeux et essayent de se souvenir de ce qu’ils ont vu. Cette action amène seulement à mémoriser un événement passé. Elle rend la méditation mécanique, répétitive. Elle fatigue les nerfs et ouvre la porte à tous les souvenirs du passé. C’est pour cela que l’aspirant ne progresse pas, même après des années de pratique !
La véritable méditation est la rencontre directe avec une image consciente. Lorsque vous voyez votre bien-aimé face à face, vous vivez avec lui dans le présent. Pour que la méditation ressemble à cela, nous devons regarder dans notre cœur et y « voir » directement une image vivante. Cela ne devient possible que si nous sommes capables de concentrer la lumière de notre conscient dans les profondeurs de notre cœur. C’est là que nous pouvons observer constamment les mouvements de nos pensées, conserver la conscience de nous-même.
Les débutants peuvent éprouver des difficultés. C’est pourquoi il leur est conseillé de pratiquer en premier la prière et l’adoration. Ce sont des actes qui n’ont de sens que dans le présent. La prière ne peut pas glisser dans le passé sans que vous vous en aperceviez. Aussitôt que l’inattention survient, elle s’arrête. La prière spirituelle demande, en effet, un effort intense pour s’établir dans l’instant présent. Même lorsqu’elle est dite à un Être inconnu, elle vous fait vivre dans le présent. L’adoration rend cet Être plus réel et vous devenez capables de rester plus longtemps dans le présent. Lorsque cette rencontre dans le présent, entre l’âme et l’image, est intériorisée et intensifiée, elle devient la méditation.
Ainsi, la véritable méditation est un acte qui ramène toujours le mental dans le présent. De plus, elle est le mouvement d’un courant constant de la conscience du « moi » – qui est le sujet – vers l’image mentale – qui est l’objet. Lorsque ce mouvement, ou cette impulsion, devient stable – et vous l’avez peut-être observé pendant nos séances de méditation guidée – l’objet ne change plus. Il prend naissance dans le soi individuel et se fixe sur l’objet. Cette impulsion du soi individuel est la volonté. Il est vrai que lorsque nous essayons de méditer, des souvenirs affluent dans le mental et nous nous sentons impuissants à cet égard. Cependant, c’est bien nous qui permettons au mental d’errer de cette manière. Et en éduquant la volonté à fixer le mental sur un objet, l’image intérieure deviendra constante.
C’est ainsi que nous limiterons notre mémoire au présent. Et c’est cela la méditation.
Une notion populaire dit que méditer, c’est vider le mental en le purgeant de toute image. En réalité, méditer signifie maintenir constante une pensée unique, même si vous pouvez appeler cela « vider le mental ». La suppression complète de toutes les pensées n’existe que dans le sommeil profond et dans quelques rares formes supérieures d’absorption, telles que le samadhi. Pour cela, le mental doit devenir libre de tout objet et objectiver la tendance du mental. Si une personne essayait de supprimer toutes les pensées sans acquérir la pureté et la puissance spirituelle, le résultat serait, en général, une sorte de sommeil ou de stupeur hypnotique. C’est sur ce point que Swami Vivekananda nous dit :
« Lorsque des personnes essayent, sans en avoir été instruites et préparées, de vider leur mental, elles ont toutes les chances de ne réussir qu’à se couvrir de tamas - l’ignorance matérielle - qui rend le mental terne et stupide et les conduit à penser qu’elles font le vide dans leur mental. »
La méditation sur le sujet, le « moi », est appelée aham graha upasana dans le Védanta. Mais le sujet, ici, est le soi empirique – la réflexion ou l’image de l’atman véritable – le Soi universel. L’existence du soi individuel est flagrante et elle n’a certainement pas besoin d’être démontrée. Mais sa nature réelle, en tant qu’atman, n’est pas évidente parce que le pur atman ne peut jamais devenir l’objet de la méditation. Dans le samadhi, lorsque toutes les vagues de pensées sont calmées, le pur atman brille de sa propre lumière. L’introspection est une voie directe et comme telle n’est pas un processus méditatif.
Il arrive aussi que, parfois, nous entrions dans un état de conscience dans lequel le mental devient calme et vigilant. Nous ressentons fortement un profond silence intérieur. Chaque mouvement, chaque pensée nous apparaissent frais et significatifs. Cela survient lorsque le mental ne s’arrête pas sur une image particulière. Il observe calmement les pensées aller et venir – comme des nuages dansant dans le ciel. Nous pouvons tenir pour certain que c’est là vivre dans le présent. Nous sommes alors capables d’observer le courant silencieux de la vie sans être entraînés par la force de son courant. Dans cet état, le soi individuel devient conscient du mental tout entier, plutôt que d’un objet ou d’une image. Comparons cela à un poisson qui devient soudainement conscient de l’eau dans laquelle, auparavant, il n’avait remarqué que d’autres poissons, des vers, des plantes, etc. Maintenant, il est là dans l’eau, glissant silencieusement de toutes ses nageoires. C’est cette sorte de calme cultivé consciemment qui convient pour la méditation.
Certains aspirants parviennent à cette conscience méditative grâce à l’amour qu’ils portent à leur Divinité bien-aimée. Ils pensent à Elle avec tellement d’amour que leur être tout entier vibre de cette pensée unique comme un instrument de musique qui produirait un son unique et continu. Il n’y a plus aucune place pour une autre pensée, seule est là la présence vivante de la Divinité attachée à l’instant présent.
Ainsi, dans la méditation véritable, le mental devient comme une corde de violon tendue entre le soi et l’objet. Elle vibre dans le moment présent, produisant dans la conscience des mélodies toujours renouvelées.
Le mental de l’homme est la plus grande merveille de tout l’univers. Toute la connaissance, tout le mystère de l’univers sont cachés dans ses profondeurs. Il est important que nous comprenions comment il fonctionne.
Premièrement, le mental n’a rien d’un ordinateur que nous pourrions manœuvrer comme bon nous semble. Il est venu à nous tout fait et il a commencé à nous influencer bien avant que nous soyons conscients de son fonctionnement. Le mental individuel n’est pas une unité isolée. Il est une partie du vaste mental cosmique et il fonctionne en accord avec certains principes universels. Il reçoit l’impulsion de l’énergie cosmique appelée prana.
Écoutons Swami Vivekananda :
« Tous les mentals sont identiques, ils sont les différentes parties d’un mental unique. Celui qui connaît une motte d’argile connaît toute l’argile de l’univers. Celui qui connaît et contrôle son mental, connaît le secret de tous les mentals et il a pouvoir sur chacun d’eux ».
Deuxièmement, le fonctionnement du mental est fondé sur des lois cosmiques. Le système du yoga de Patanjali qui codifie la science du mental est reconnu dans le monde entier et suscite un grand intérêt. Il ne serait pas exagéré de dire que le XXI° siècle sera plus préoccupé par la science du mental que par celle de la matière.
Essayons de comprendre les cinq principes fondamentaux du yoga.
1. Le premier principe est la conscience. Elle appartient à notre Soi véritable. Dans le Védanta, le Soi est appelé purusha, atman, jiva, etc. Tout le reste – l’univers matériel dans son entier et chaque mental individuel – appartient à prakriti. Prakriti n’est ni une substance matérielle, ni une substance mentale. Elle est la substance primordiale non manifestée. Notre mental et toutes les autres matières sont des manifestations de prakriti. Prakriti n’a pas de conscience, mais elle n’est ni morte ni inerte. Elle est un pouvoir inconscient qui anime l’univers tout entier. Elle n’est pas lumineuse par elle-même. Elle n’est connue que lorsque la lumière de purusha tombe sur elle. À l’inverse purusha, ou atman, est lumineux par lui-même, il est la luminosité même.
La distinction entre le conscient et l’inconscient est très importante pour la vie méditative. Seul le Soi est conscient, et ne pas connaître cette vérité fait de toute activité mentale et physique une activité inconsciente. Oui, vous pouvez dire que la circulation du sang, la digestion, l’assimilation de la nourriture et les autres activités physiologiques se poursuivent sans notre conscience. Une grande partie de notre vie mentale se fait automatiquement. Mais si cet automatisme est aussi amené dans la méditation, comment pourrons-nous alors espérer la maîtrise de nous-même, de nos émotions, de nos instincts et de notre mental ?
Plus nous nous établissons dans le Soi, plus nous devenons conscient. Et plus nous devenons conscient, plus grand est notre contrôle sur nos pensées et sur nos actions. Cette sorte de conscience du Soi est essentielle dans toutes les activités de notre vie. Le Soi est la demeure de la conscience. Nous devons nous ouvrir et permettre à la conscience de s’écouler, non seulement dans les activités du mental, mais aussi dans chaque activité de notre vie. À mesure que le mental devient pur et clair, la lumière du Soi se manifeste avec plus d’intensité en même temps que la conscience du Soi et la maîtrise se développent.
2. Le deuxième principe de la psychologie du yoga nous dit que la connaissance est le résultat d’une modification du mental. Pour connaître un objet, le mental prend la forme de cet objet. Cette modification du mental est appelée vritti en sanskrit.
La connaissance est la relation entre le soi individuel et l’objet. Le pur atman, le Soi, ne peut pas connaître un objet. Le mental doit intervenir entre lui et l’objet, c’est-à-dire qu’il doit prendre la forme de l’objet. Lorsque la lumière de l’atman tombe sur cette modification du mental ou vritti, il en résulte la connaissance.
Les vrittis peuvent être de différentes sortes. Par exemple, lorsque nous regardons un arbre, le mental va vers lui et prend sa forme. C’est ainsi que nous connaissons l’arbre. Si vous fermez les yeux, le mental reproduit l’image de l’arbre et c’est ainsi que vous vous en souvenez. Et c’est ainsi également que ce que nous appelons la vie, ou l’existence, est formé de mondes dans les mondes. Exactement comme un arbre est un univers physique extérieur, il existe des mondes intérieurs subtils. Lorsque le mental est projeté vers un monde intérieur, nous sommes amenés à les connaître tous. Toutes ces modifications appartiennent au mental et à lui seul, elles sont appelées des vrittis.
Il ne peut y avoir de connaissance sans les vrittis. Dans le sommeil profond, le mental n’en produit pas et en nous éveillant, nous disons : « je ne savais rien ». Mais, même pendant le sommeil profond, un type particulier de vritti existe. Ce sommeil est un état dominé par tamas et il est appelé nidra vritti. Ce n’est que dans l’état de superconscience – le nirvikalpa samadhi – que le mental est absorbé dans le Soi et que seul l’atman existe. C’est l’état de pure existence. Toutes les sensations d’émotions ou de visions spirituelles, toutes appartiennent aux modifications du mental.
Alors qu’est-ce que la connaissance véritable ? Elle s’appelle prama en sanscrit. La fausse connaissance s’appelle bhrama. Une vague de pensées qui produit la connaissance vraie est appelée pramana et celle qui produit la connaissance erronée est appelée viparaya. L’attachement, la haine, la peur et les autres émotions, tout cela est causé par la fausse connaissance.
Vous pouvez dire que les idées abstraites comme la bonté, la beauté, l’infini, etc. sont des modifications du mental. C’est vrai ! Les idées abstraites comme l’énergie pure, la luminosité, etc. ne contiennent aucun objet. Malgré cela, elles ne sont pas mauvaises, mais servent notre propos pratique. La vague de pensées qui produit cette connaissance abstraite est appelée vikalpa. Lorsque vous vous installez pour la méditation et essayez de visualiser un dieu, votre connaissance n’est pas « vraie » parce que, en réalité, vous ne voyez pas votre dieu. En même temps, elle n’est pas fausse non plus, parce que votre imagination n’est pas quelque chose qui n’existe pas. Chaque fois que vous méditez, souvenez-vous de vos imaginations précédentes ! Lorsque votre méditation s’intensifie, l’imagination se transforme en connaissance véritable avec la vision directe de votre Divinité.
Cette connaissance véritable de la Réalité au-delà des sens est le but de la méditation.
3. Troisièmement, le mental a des niveaux différents. Chaque niveau ou étage a ses propres vrittis. Les vrittis qui sont dans les niveaux extérieurs sont grossiers et reliés à des objets extérieurs. La tendance spirituelle, l’intuition poétique ont leur origine dans des niveaux supérieurs.
Les vrittis subtils appartiennent à des niveaux profondément internes et l’on y connaît des vérités suprasensibles du monde spirituel. La majorité des gens n’est consciente que des formes grossières de la pensée. C’est seulement en plongeant profondément dans le monde suprasensible que l’on devient conscient des vagues de pensées subtiles.
Nous avons dit que la connaissance est la réflexion de la lumière de purusha – ou atman – sur les vrittis. Les vrittis grossiers réfléchissent très peu de lumière, et très peu de conscience du Soi y est associée. Les vrittis subtils reflètent beaucoup plus de lumière. Les images qu’ils produisent sont très brillantes et une grande conscience du Soi leur est associée. C’est pour cette raison qu’une image mentale, une forme divine, est utilisée dans la méditation. Ainsi, l’aspirant devient plus proche de l’atman et voit de plus en plus sa lumière. C’est ainsi que nous produisons les vrittis suprasensibles qui conviennent.
Il existe une relation constante entre le mot et la connaissance. En général, nous ne pensons pas aux mots. Analysons ceci : lorsque vous vous éveillez d’un sommeil profond, vous pouvez, par exemple, voir votre mère debout devant vous. La première expérience est simplement une sensation de perception. Votre deuxième expérience est de reconnaître. Reconnaître est le résultat d’une pensée. Et penser nécessite l’usage de mots : la reconnaissance de votre mère vient du mot « mère ». De même, lorsque vous entendez ou murmurez en vous-même ce mot « mère », l’image de votre mère s’élève dans votre mental. Depuis l’enfance, nous nous sommes ainsi associés à des noms d’objets ou de formes et nous ne pouvons plus penser sans les mots. Donc, la relation entre les formes et les noms est continuelle. La connaissance est le résultat d’une formulation intérieure de mots.
Dans la méditation, nous utilisons des formules spéciales appelées des mantras. Les mantras sont différents des mots ordinaires. Le mot ordinaire n’a qu’un sens limité. Alors que lorsque nous répétons un mantra, il amène à notre mental l’aspect divin ou la Réalité. De plus, les mantras sont des états de vibration qui éveillent graduellement le pur vritti subtil qui révèle la Réalité.
Nous avons dit aussi que la méditation est le maintien d’un vritti unique, ce qui signifie le maintien du courant d’une pensée unique harmonieuse d’où tous les autres noms et formes sont exclus.
4. Quatrièmement, chaque expérience abandonne derrière elle une impression appelée samskara qui a le pouvoir de reproduire ce vritti. L’inconscient est le réservoir d’innombrables samskaras. Ces impressions latentes surgissent constamment dans nos désirs, nos émotions, nos souvenirs et nos idées. Cela crée des dommages dans le mental. C’est pourquoi nous trouvons difficile de conserver un seul vritti pendant la méditation. Mais alors comment déraciner tous ces samskaras ? Cela ne peut se faire que par la lumière supérieure ou illumination spirituelle. Ou encore par des disciplines spirituelles comme la répétition de mantras, etc.
5. Le cinquième principe fondamental de la psychologie du yoga est la modification continuelle du mental qui ne peut jamais être arrêté complètement.
Tout dans l’univers, mis à part le Soi, est toujours sujet à des changements continuels.
Méditer signifie donc rester établi dans l’harmonie infinie – rtam.