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Vedānta 222 - Editorial - Nés libres - Swami Baneshananda

Editorial‌

Pour ce trimestre, en plus du Journal de voyage de Vivekananda et de la rubrique Il y a, quatre articles sur le thème de la naissance et de la mort :
      - un article de Swami Baneshananda sur l'état de ceux qui sont nés libres ;
      - un article de Swami Siddheswarananda sur le dépassement de la distinction entre la vie et la mort ;
      - un article de Swami Veetamohananda sur le passage de la mort à l'immortalité 
      - une traduction d'un office pour les défunts de Sœur Nivedita.

Bonne lecture !

 

 

NÉS LIBRES

Swâmi Baneshananda

 

Nous savons que le début et la fin, la naissance et la mort etc. sont les deux extrémités inévitables de toute existence dans ce monde. Telle est la loi pour ce qui est temporaire. Elle régit l'existence de tout ce qui est relatif, y compris la vie d'un être humain. En conséquence, notre vie biologique périssable a un début.
Mais pourquoi ? Selon les Écritures, pour qu'il y ait un début, il faut qu'il y ait soit une volonté, soit une contrainte. Ces idées font l'objet de grandes discussions dans les systèmes philosophiques du monde entier. Si notre vie est le résultat d'une volonté, il est possible de la retirer volontairement ; et si elle est soumise à une contrainte, il n'y a pas d'autre issue que de suivre les lois de cette contrainte. Nos expériences directes, dans leur diversité, le confirment. La Gītā dit qu'un début doit avoir une fin, et qu’il n’y a rien de plus certain.

 

 

Autrement dit, la liberté présuppose une servitude et on considère que pour atteindre la liberté, il faut se débarrasser de la servitude. Quelle joie dans l’envol de l’oiseau, lorsqu'il est libéré de ses liens, atteignant les hauteurs sans limites. C’est à condition de briser les bornes de sa cage qu’il trouve bonheur et vie !

 

 

 Examinons les définitions de notre liberté. Il y a plusieurs façons de la concevoir :

  1. La liberté est une sensation, et non pas une compréhension intellectuelle ou un état physique spécifique. C'est la raison pour laquelle Śrī Śrī Thakur disait qu'il voulait goûter le sucre.
  2. La liberté est la réponse à une insatisfaction universelle. Nous devons comprendre que la liberté ne concerne pas un mécontentement relatif à un asservissement partiel, mais à un asservissement total. Swâmiji disait : "Je ne veux pas de ma liberté tant qu'une seule personne reste en esclavage." Il s'agit bien sûr d'une insatisfaction universelle, pas d'une insatisfaction ordinaire, qui ne peut être comparée à notre concept de liberté individuelle. Nous la garderons néanmoins à l'esprit afin de bien comprendre comment notre minuscule liberté est placée sur la toile de la liberté de l'ensemble.
  3. La liberté doit être la nature inhérente de notre âme, sinon la liberté n'a aucune signification. C'est l'individu apparent qui est en servitude, la servitude n'est pas sa nature réelle. Or l'individu réel n’étant lié par rien, il est donc libre, toujours libre.
  4. Le critère de la vraie liberté est qu'elle ne blesse pas les autres et qu'elle n’accepte pas d'être sous leur emprise. Quelqu'un a très bien dit : "Ta liberté s'arrête là où commence mon nez !". Vous avez la liberté de donner un coup de poing, mais veillez à ce qu'il ne touche pas mon nez. Plus encore on ne devrait pas se permettre puérilement de compter sur les autres. Question : voulons-nous vraiment être libres ?

 

Pour être vraiment libres, même en vivant dans le monde, il faut avoir une naissance qui soit au-delà de ces lois limitées de la volonté ou de la compulsion. On appelle cette naissance āvirbhava, apparition ou avènement. La naissance de certains êtres incarnés ne relève pas de ces deux types normaux de naissance. De telles âmes sont appelées « nées libres » ; elles sont « toujours libres » − elles sont ces êtres bénis qui sont pleinement « dans » le monde mais pas « du » monde ! Leur exemple nous aidera à comprendre toute la perspective d'une « libération de la servitude dans la vie réelle qu’ils ont vécue ». Ces exemples sont nombreux. Je voudrais raconter l’une de ces vies pour rendre les idées claires.

Nés libres

Le 12 janvier de l'année 1863, un enfant « robuste » naquit de parents humains, Smt. Bhuvaneshwari Devi et Śrī Viswanath Dutta de Simla, à Calcutta. Il reçut le nom de Vireshwar puis, plus tard, de Narendranath, que Śrī Râmakrishna a ensuite gentiment raccourci en Naren. Le monde le connaît sous le nom de Swâmi Vivekânanda.

C’est un exemple d’âme née libre. Avant la naissance de Naren, Śrī Śrī Thakur avait eu la vision d'un trait de lumière qui traversait le ciel depuis Varanasi jusqu’à Calcutta, vision qui pouvait être l’effet d’une prière de Bhuvaneshwari Devi, la mère de Naren, qui avait prié Śiva à Varanasi pour avoir un fils. Cependant, Śrī Śrī Thakur n'a pas indiqué à quel endroit la lumière était descendue, mais il s'est exclamé dans une grande joie : « Ma prière a été exaucée, un compagnon finira par me rejoindre ». Des années plus tard, en décembre 1881, lorsque le jeune Naren rendit visite à Śrī Râmakrishna à Dakshineswar, Śrī Śrī Thakur le reconnut immédiatement comme étant ce compagnon.

Cependant, pour en être sûr, Śrī Śrī Thakur a touché la poitrine de Naren. Naren est immédiatement entré en transe, perdant toute conscience extérieure. Śrī Râmakrishna lui posa alors plusieurs questions et découvrit que sa propre vision était vraie.

Vivekânanda n'appartenait pas exactement à la classe des âmes libres « qui [de plein et bon gré] viennent remplir une mission et restent dans un corps aussi longtemps que leur mission l'exige ». Il est descendu sur cette terre à la demande d'un Enfant divin pour aider l'Enfant dans sa mission terrestre. Śrī Râmakrishna était, bien sûr, cet Enfant divin.

 

 Le chant de la liberté

Quelle peut bien être la philosophie de vie de telles personnes ? Veulent-elles seulement profiter du plan divin sur terre, pareilles à ceux qui mangent du sucre sans devenir du sucre ? Puisqu’elles sont à jamais libres, on peut être assuré qu'elles n'ont pas de vie à élaborer soigneusement pour leur propre salut.

Elles ont donc à « se charger » de trouver un sens à leur vie. Chose que Swâmiji aura accompli à merveille. Le sens de sa vie était de guider les autres et de les aider à découvrir le sens de leur vie. Dès son enfance, il était un meneur, destiné à guider tout le monde. Un jour, Swâmiji a dit : « Mon idéal peut effectivement être résumé en quelques mots : prêcher à l'humanité sa divinité, et comment la rendre manifeste dans chaque mouvement de vie ». C'est ainsi qu’il a pu facilement enregistrer la voix de l'ensemble de la race humaine dans la philosophie condensée d'une seule vie. Il disait : « Si je suis reconnaissant envers mes ancêtres aryens à la peau blanche, je le suis bien plus encore envers mes ancêtres mongols à la peau jaune et surtout envers les Africains à la peau noire ».

Ainsi, toute la consommation de l'énergie humaine a été condensée sous la forme de Swâmi Vivekânanda. Dans son livre La vie de Vivekânanda et l'Évangile universel, Romain Rolland écrit : « Équilibre et synthèse : ces deux mots résument le génie constructeur de Vivekananda. (…) Il est l’énergie faite homme ».

Déjà à son époque, au début du siècle dernier, Swâmi Vivekânanda abordait les problèmes avec une vision globale. La vérité védantique, selon laquelle un atome entraîne l'univers entier derrière lui, constituait la base de sa vision. Elle semble être confirmée par les dernières découvertes de la physique moderne. Sa liberté a fait naître en lui l'idée de sarva-mukti, la liberté pour le monde entier. Au début, lorsque Śrī Śrī Thakur a demandé à Naren quelle vie il se souhaiterait, Naren a répondu qu'il voudrait passer son temps à méditer profondément. Śrī Śrī Thakur l'a réprimandé en disant : « Juste ciel ! Tu souhaites ta propre libération ! J’envisageais que tu serais comme un énorme arbre banian à l'ombre duquel beaucoup de gens apaiseraient leurs douleurs ! Au lieu de cela, tu veux ta propre libération ! »

Naren a rapidement saisi ce qu’impliquait la remarque de Śrī Râmakrishna. C'est pourquoi, au congrès international de Chicago, où il eut la première occasion de s'adresser au monde entier, il inspira tout le monde par ces paroles : « (…) s'il doit y avoir un jour une religion universelle, ce doit être une religion qui n'aura pas ni lieu ni temps, qui sera infinie comme le Dieu qu'elle prêche, dont le soleil brillera sur les disciples de Kṛṣṇa et du Christ, sur les saints et les pécheurs de la même manière (...) ». Il n'est pas difficile pour nous, dans la situation politique mondiale actuelle, de comprendre la valeur prodigieuse de ces paroles de Swâmi Vivekânanda. Leur formule aborde tous les problèmes à l'échelle mondiale, car les problèmes appartiennent à un seul globe. C'est comme un cancer au doigt, qui constitue une menace pour le corps entier. En réalisant que la création entière ne fait qu'un, un sage des upaniṣad s'est écrié : « Vous tous, les enfants de l'immortalité, écoutez : j'ai réalisé cette vérité unitaire transcendantale, en sachant que chacun devient immortel ».

Le Soi de ceux qui sont libres

Le Soi de ceux qui sont libres n'est jamais en servitude – ni avant la naissance, ni maintenant ni après la mort du corps. Par conséquent, il ne subit aucune amélioration et ne nécessite aucun progrès. Il ne se heurte à aucune barrière au cours de sa manifestation, car une telle vie a une application universelle et transcende toutes les limitations pour atteindre l'universalité. Ceux qui sont à jamais libres n’œuvrent pas par compulsion et, par suite logique, n'ont pas de volonté ordinaire pour le faire. Un autre sage des Upaniṣad révèle avec une merveilleuse éloquence : « Je suis l'Unificateur ; je suis l'Unificateur (aham ślokakṛt, aham ślokakṛt) ». Il y a donc un véritable appel au pur amour universel pour tous. Cet amour est spirituel, car il ne connaît ni marchandage, ni négociation, ni peur, ni compétition. Cet amour est l'amour suprême, l'amour divin pratiqué sur cette terre qui est la nôtre.  

 

Les dictons védiques tels que « ne blessez pas les créatures » ont une application transculturelle : ils ne sont la propriété d'aucun groupe ou individu particulier. Swâmiji a toujours encouragé chacun à se diriger vers le tout infini, qui est au-delà de toute étroitesse. Il dit : « Plus un homme avance vers l'unicité, plus les idées de "je" et de "tu" s'estompent ». Le luxe dangereux de la culture de l'usage (ou de l'abus ?) constant du « je », devrait être remplacé par la culture d'un « nous » si l’on veut préserver la dignité de ce « je » lui-même. On devient alors immédiatement libre. Cela infuse une idée universelle du devoir. Lorsque la vie elle-même est prise et étudiée dans une perspective globale, toutes les idées de devoir se spiritualisent.

 

L’état de servitude empêche la croissance. La croissance est toujours dirigée vers l'universalité. Puisqu'une personne toujours libre reste libre de tout égoïsme, son cœur est large et elle est sensible aux souffrances de ceux qui sont asservis. Une nuit, vers 2 heures du matin, un tremblement de terre dévastateur a tué des milliers de personnes dans les lointaines îles Fidji. Swâmi Vivekânanda, à Belur Math, a ressenti un « choc terrible au cœur ». Pendant ses jours d'itinérance, il a rencontré Swâmi Turîyânanda, un de ses frères disciples. Son autre nom était Hari. Avec beaucoup d'émotion, il dit à Turîyânandaji : « Haribhai, je reste incapable de comprendre quoi que ce soit de votre prétendue religion. Mais mon cœur s'est beaucoup élargi et j'ai commencé à ressentir. Croyez-moi, je ressens vraiment intensément ». C'est pour cette seule raison que Vivekânanda a dit : « Il se peut que je trouve bon de quitter mon corps − de m'en débarrasser comme d'un vêtement usé. Mais je ne cesserai pas d’œuvrer ! J'inspirerai les hommes partout, jusqu'à ce que le monde sache qu'il est un avec Dieu ».

Un jour, deux bateliers se bagarraient sur le Gange près de Dakshineswar où Śrī Śrī Thakur vivait alors. Au cours de la bagarre, l'un des bateliers a donné un coup violent sur le dos de l'autre. Śrī Śrī Thakur a crié avec force. Son neveu Hriday l’ayant entendu est venu l'aider. Il vit alors les marques rouges de cinq doigts sur le dos de Śrī Râmakrishna et que le dos était enflé. On peut être un avec le tout si on est capable de vivre en liberté.  

Quel est notre état par rapport à la vie d'une personne toujours libre ? Nous, en tant qu'ātman, l'âme, sommes toujours libres, par nature. C'est pourquoi la liberté est notre droit de naissance. En même temps, nous pensons que cette âme libre a été asservie et que nous devons la libérer. Par conséquent, nous travaillons dur pour atteindre notre liberté. Mais si nous pensons avec logique, nous devons dire que les deux, notre servitude et notre liberté, sont dans notre pensée seulement. Elles n'appartiennent pas à nos âmes.

Nous avons voulu ou plutôt nous nous sommes demandé s'il existe une réponse à cette question : pour des âmes toujours libres comme nous le sommes, quelle pourrait être la philosophie de la vie ? Nous n'avons pas une vie à mener scrupuleusement et à élaborer pour notre propre salut réel. Nous sommes toujours libres. Il nous incombe donc de trouver un sens à notre vie apparente, avec ses combats pour la liberté. Nous ne nous soucions pas de la manière dont cela adviendra, que ce soit de manière dualiste ou non dualiste. C'est pourquoi la Māṇḍūkya Kārikā dit que, finalement, il n'y a ni mort, ni naissance, personne n'est en servitude, personne n'est un pratiquant spirituel, et ainsi de suite.

 

Un jour, quelqu'un a demandé au grand sage Ramana Maharshi : « Toutes ces choses comme les différentes sphères, les loka ou les sphères mythologiques, sont-elles réelles ? » Il répondit : « Tant que vous pensez que vous êtes un corps, ces loka sont également réels ».

Śrī Śrī Thakur disait : « Je ne veux pas être le sucre, je veux le manger ». C'est la position prise par un dévot de Dieu. Le dévot considère sa propre individualité en tant que jīva comme réelle et l’utilise comme moyen de réaliser la liberté du mieux que possible. Et cela se travaille dans la servitude avec l'aide de Dieu.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                        Vedānta 222 - Mai 2021   

                                                                                                                                                                                                                                                                             

  

 


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